Paris n’est-elle plus qu’une ville-musée, doublée d’une ville de pouvoir, d’où le peuple est exclu et où les traces de ce qu’elle fut disparaissent ou sont marchandées ? c'est la question posée par Jean-Christophe Bailly dans ce livre, structuré sous forme de balades urbaines à la façon des promenades d'Eric Hazan . Ceux qui s'interrogent avec raison trouvent ici un argumentaire puissant et une source de réflexion inépuisable, sur des points précis. L'urbanisme parisien subit une transformation subtile, mais radicale. La cote d’alerte est atteinte, voire dépassée. L'auteur ne recule pas devant la complexité du sujet, mais conserve l'espoir "quand même".
La capitale n'en est pas à son premier bouleversement : Dégradations massives à la Révolution, transformations haussmannienne à la fin du XIXe auxquelles ont succédé celles des "trente glorieuses" pendant les années 60 et 70. Elles ont vu la disparition d'un nombre considérable d'édifices religieux, d'hôtels particuliers, de rues historiques, de places aux dimensions humaines, de belvédères admirables, etc. mais Paris du XXIe siècle subit une transformation différente.
Ses habitants, déjà échaudés par ce lourd passé, assistent à ces bouleversements motivés comme d'habitude par la volonté de rentabilisation d'une ville unique et magnifique. C'est toujours le même principe qui est à l’œuvre, mais dans un style contemporain. L'expulsion des habitants se voyait déjà suite aux impressionnantes percées d'Haussmann, puis le recouvrement des parcelles par de la dalle permettait déjà au XXe siècle de forger une ville lisse, présentable, propre pour des expositions universelles, des jeux, séduisante pour les touristes étrangers de la tournée des grands ducs, rentable pour le placement de fortunes françaises ou des émirs du golfe, agréable à vivre pour ceux chargés de mettre en place le dispositif dans les bureaux aux vitres réfléchissantes : banques, assurances, ministères, agences immobilières,etc.
Rien de nouveau sous le soleil, donc. De nombreux exemples attestent cette tendance : le projet de la nouvelle Samaritaine, celui de la Bourse de Commerce, des tours Duos, de la tour Triangle, de l'immeuble Garance, de l'hexagone Balard, de la canopée des halles, des futurs abords de Notre Dame avec sa bagagerie commerciale... voire dans la création de musées aseptisés comme la galerie Dior ou le nouveau Carnavalet. D'autres signes marquants : on assiste à la densification accélérée du parcellaire habitable, à la disparition du café parisien traditionnel, à la généralisation du digicode, à la pulvérisation des voies de circulation. Tout cela, bien sûr, sur fond de discours breveté "haute qualité environnementale", mot valise de la novlangue parisienne qui succède à l'argot du passé. Ne serait-ce que de la nostalgie ? le fameux "c'était mieux avant" ? A voir.
Dans son gros dossier, l'auteur souligne à juste titre la décadence des Champs-Élysées, lieu où on s'amusait autrefois, symbolique de la lente déchéance de la vie nocturne elle-même à Paris, jadis réputée et en voie de disparition en dehors des clapiers à touristes étrangers ; un destin étrangement partagé par les grands magasins parisiens dont l'attraction majeure est devenue la descente du bus des touristes. Qu'est devenue la haute couture française ? Autre sujet : la peur de l'effondrement qui guette le quartier Latin après celui, inimaginable il y a quelques dizaines d'années encore, de Saint Germain des prés. Celui-ci vit maintenant de la nostalgie de ses librairies d’antan et des clubs de l'après guerre. Que dire de cette multitude de galeries d'art ?
Une des conséquences prévisibles de ces changements est la lente usure, pour ne pas dire dégradation, de l'art urbain, la progression de la laideur des rues et même la disparition du flâneur, personnage parisien clé dans le passé. Oserions-nous aujourd'hui inscrire l'auteur dans cette tradition ? ce livre est un témoin. Par exemple, la comparaison entre la BnF Mitterrand et le centre Beaubourg est particulièrement pertinente : deux époques, deux manières de voir les choses.
En dépit de cela, Jean-Christophe Bailly nous livre "quand même", quelques lieux où il fait encore bon se balader, où on retrouve l'esprit des lieux d'autrefois, souvent dans des quartiers complètement ignorés des parisiens eux-mêmes, aux marges des arrondissements, dans des passages qui ne sont pas encore fermés ou médiatisés (voir l'affaire de la rue crémieux). Une note d'espoir bienvenue en ces temps troublés.
D.L
Jean-Christophe Bailly - Paris quand même - La Fabrique - 160 pages 11 x 16,8 cm 13 euros - 9782358722407Quelle visite à Paris ? |
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