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  • exposition Toulouse-Lautrec au Grand Palais

    Trois rejets conditionnent la vision courante de Toulouse-Lautrec (1864-1901) : il aurait méprisé les valeurs de sa classe, négligé le marché de l’art, exploité le monde de la nuit parisienne et du sexe tarifié, en le regardant de haut. La libération des formes et la verve satirique du meilleur de l’œuvre en seraient la preuve. A cette vision conflictuelle de sa modernité, typique des années 1870-1880, l'exposition veut en substituer une autre, plus positive...


    La contradiction n’est qu’apparente, tant Lautrec lui-même a agi simultanément en héritier, en homme de réseau (la revue blanche), en conquérant de l’espace public et en complice du monde qu’il a traduit avec une force unique, une mansuétude parfois féroce, rendant plus intense et significative : « la vie présente » sans la juger. Plutôt que de l’affilier à la caricature qui cherche à blesser, voire humilier, il faut le rattacher à une lignée très française du réalisme expressif, brusque, drôle, direct (dirait Yvette Guilbert) dont sa correspondance égrène les noms : Ingres, Manet, Degas, Courbet.

    Henri de Toulouse-Lautrec - Messaline descend l’escalier bordé de figurants
    Henri de Toulouse-Lautrec - Messaline descend l’escalier bordé de figurants 1901

    Comme eux, par ailleurs, Lautrec fait de la photographie son alliée. Plus qu’aucun autre artiste du XIXème siècle, il s’associa aux photographes, amateurs ou professionnels, fut conscient de leur pouvoir, servit leur promotion, s’appropria leurs effets dans la recherche du mouvement. L’archive photographique de Lautrec rejoint, du reste, les pratiques du jeu aristocratique sur les apparences et les identités qu’on échange à plaisir, moyen de dire que la vie et la peinture n’ont pas à se plier aux limites ordinaires, ni à celles de l’avant-garde. « Tout l’enchante », résume Thadée Natanson.


    Henri de Toulouse-Lautrec - Carmen Gaudin
    Henri de Toulouse-Lautrec - Carmen Gaudin 1884

    Depuis 1992, date de la dernière rétrospective française de l’artiste, maintes expositions ont exploré les attaches de son œuvre avec la « culture de Montmartre » dont il serait, à la fois, le chroniqueur et le contempteur. Cette approche sociologique, heureuse par ce qu’elle nous dit des attentes et inquiétudes de l’époque, a réduit la portée d’un artiste que ses origines, ses opinions et son esthétique ouverte préservèrent de toute tentation inquisitrice. Lautrec ne s’est jamais érigé en accusateur des vices urbains et des nantis impurs. Par sa naissance, sa formation et ses choix de vie, il s’est plutôt voulu l’interprète pugnace et cocasse, terriblement humain au sens de Daumier et Baudelaire, d’une liberté qu’il s’agit de mieux faire comprendre au public d’aujourd’hui. A force de privilégier le poids du contexte ou le folklore du Moulin Rouge, on a perdu de vue son ambition esthétique et poétique. Comme l’atteste sa correspondance, Manet, Degas et Forain lui ont permis, dès le milieu des années 1880, de transformer son naturalisme puissant en un style plus incisif et caustique.

    Nu féminin, la grosse Maria - 1884
    Nu féminin, la grosse Maria - 1884
    Lautrec renonce au Salon officiel, non à l’espace public, ni au grand format. Preuve qu’il cherchait bien, comme Courbet et Manet avant lui, une relève de la peinture d’histoire par l’exploration de la société moderne en ces multiples visages, au mépris souvent des bienséances. Qu’il ait joui du spectacle de Montmartre, qu’il ait célébré l’aristocratie du plaisir et des prêtresses du vice à la façon de Baudelaire, est indéniable. Viveur insatiable, la maison close lui offre même un espace où les femmes jouissent d’une indépendance et d’une autorité uniques, si paradoxales soient-elles.

    Lautrec - Vue de l'exposition
    Lautrec - Vue de l'exposition

    Toulouse-Lautrec, Résolument moderne, Grand Palais, 9 octobre 2019 – 27 janvier 2020




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