Paris est le chevauchement de nombreuses strates historiques qui rendent son analyse souvent extrêmement complexe. Transfigurations incessantes conduisant aux pièges les plus cachés, aux erreurs fréquentes, aux peines d'un immense labyrinthe. De plus, les idées reçues sont nombreuses et tellement propagées dans des livres qui se copient les uns les autres, qu’elles passent pour des vérités non discutables. L'exemple le plus significatif étant celui d'un préfet, pas d'un architecte, ayant refait la ville en quelques années, mais surtout victime d'un régime politique, détesté par ses successeurs.
Une autre erreur fréquente consiste à penser que l'accroissement de la ville se fait par débordements de cercles concentriques, de plus en plus vastes, absorbant des territoires inconnus d'où naissent rues et lotissements nouveaux. À l'endroit de l'établissement d'une nouvelle rue, d'un nouveau lotissement, d'un nouvel hôtel particulier, d'une nouvelle église, il y a toujours quelque chose : une censive, un ruisseau, un chemin, une grange, un couvent, un jardin, un ancien hôtel etc. Le changement se fait toujours en remplacement de quelque chose. C'est le cas de nos grands boulevards qui ont remplacé l'enceinte de Charles V et celle des fossés jaunes sur la Rive Droite. C'est le cas de nos lignes de métro 2 et 6, qui ont remplacé une autre enceinte, celle des fermiers généraux. Beaucoup de passages couverts sont creusés sur d'anciens hôtels particuliers, qui ont eux-mêmes remplacé d'autres lotissements d'une autre époque. Chaque endroit résulte d'une histoire qui remonte au plus loin à un champ, mais même ce champ a quelque chose à dire, par sa topologie ou par sa vocation : C'est l'emprise du passé. Sous les seize mètres de la butte bonne-nouvelle, on a retrouvé des plants de la vigne ancestrale qui se trouvait encore là. Comprendre la ville, c'est aussi entendre ce que nous dit le vigneron de cette époque reculée. C'est la même idée qui devient cynique quand elle sert à justifier les destructions pendant la Révolution, que défend Pierre Pinon : c'est le mouvement de remplacement naturel de la ville, juste accéléré… par les événements brutaux et les hommes de l'époque..
Les murs élevés au sein de lilot jaillissent sur la voie (c) TARGAT |
Une autre idée banalité répandue est celle de l'extension progressive et indéfinie de la ville, à partir de ses premiers pas, autour d'une rivière, souvent, d'un monticule, parfois, d'une île de la Cité jusqu'à aujourd'hui. Là encore, c'est l'illusion qui domine. La ville est un corps vivant qui peut décider de se fermer. C'est le cas de Paris, ville ouverte par Louis XIV en 1670, qui se ferme avec l'enceinte d'Adolphe Thiers en 1840, jusqu'à aujourd'hui …. L'enceinte disparue s'est doublée d'un boulevard circulaire, puis d'un boulevard périphérique, donnant cette séparation Paris-Banlieue souvent évoquée dans les discussions d'aménagement urbain. Là encore, le schéma de principe urbain n'est pas vérifié.
La rue Cyrano de Bergerac gravit la colline de Montmartre (c) TARGAT |
La percée a quelque chose de traumatique, car elle éclate complètement l'emprise existante, change profondément la structure foncière et sociale du quartier. C'est la « page blanche». En revanche, elle est localisée et l'ancien lotissement survit en périphérie, ce qui donne des voisinages surprenants, par exemple avenue Émile Zola dans le Quinzième ou autour de la fameuse rue Réaumur, celle des premiers concours de façade. Ces deux percées datent de la Troisième République et non pas d'Haussmann, qu'on a un peu trop tendance à responsabiliser pour toutes les opérations d'urbanisme à Paris, souvent pour des raisons politiques. La percée est toujours effectuée pour cause d'utilité publique, la responsabilité en incombe exclusivement au pouvoir en place.
L'évolution du parcellaire est souvent d'origine privée et cette différence est à noter, car elle explique les anomalies constatées dans le paysage urbain, qui s'accentuent depuis le renoncement de la municipalité à imposer des réglementations esthétiques en dehors du « façadisme » (conservation des façades anciennes avec un intérieur moderne). L'auteur note également d'autres curiosités : le fait que le boulevard désigne à l'origine un rempart ne semble pas gêner grand monde : d'où vient cette différence entre Avenue et Boulevard ? tout comme ces places qui sont des squares, à moins que ce ne soit l'inverse : quelle est la différence entre la place des Vosges et le square Louis XIII ? Pourquoi Montmartre est il une butte ? Quand Sainte-Geneviève est une montagne ? Le Parnasse simplement un mont et Belleville une colline ? On se souvient de l'amusement de Jacques Hillairet à ce sujet.
Jonction dévoilant la minceur de l'immeuble de la percée (c)TARGAT |
L'évolution du parcellaire est souvent d'origine privée et cette différence est à noter, car elle explique les anomalies constatées dans le paysage urbain, qui s'accentuent depuis le renoncement de la municipalité à imposer des réglementations esthétiques en dehors du « façadisme » (conservation des façades anciennes avec un intérieur moderne). L'auteur note également d'autres curiosités : le fait que le boulevard désigne à l'origine un rempart ne semble pas gêner grand monde : d'où vient cette différence entre Avenue et Boulevard ? tout comme ces places qui sont des squares, à moins que ce ne soit l'inverse : quelle est la différence entre la place des Vosges et le square Louis XIII ? Pourquoi Montmartre est il une butte ? Quand Sainte-Geneviève est une montagne ? Le Parnasse simplement un mont et Belleville une colline ? On se souvient de l'amusement de Jacques Hillairet à ce sujet.
Le parvis de Notre Dame et l'ancien tracé des rues (c) TARGAT |
Michael Darin s'attache aussi à clarifier les évolutions de l'architecture de la ville au Xxe siècle, causées par la cassure symbolique de la loi de 1977, entre les ensembles urbains avec tours sur dalles et les ZAC (zone à aménagement concerté). Il explique cette rupture par la relation retrouvée à la rue, absente dans le premier modèle. Dans cette longue histoire des orientations d'aménagements de la ville autour de ses rues, le retrait d'alignement est sans doute celui qui reste le plus visible à Paris. Il reste facile à expliquer, comme l'est le façadisme, la révolution des barres ou celle des dalles. Les aménagements actuels sont moins simples, truffés d'astuces qui visent à occuper le plus efficacement les derniers espaces disponibles, comme ceux sur les voies de chemin de fer d'Austerlitz ou la ZAC rive-gauche, en attendant que s'affirme, bien plus loin, le « Grand Paris ». Comment ne pas constater qu'en définitive, plus rien ne doit changer « intra-muros » que marginalement ? ce renoncement a pour conséquence, une nouvelle fois, de donner à la banlieue l'exclusivité des expérimentations architecturales en tous genres.
A l'évidence et plus que jamais, le Paris d'antan existe toujours dans le Paris d'aujourd'hui. Plusieurs époques subsistent dans une rue, ce qui donne un ensemble historique passionnant à analyser et pour toujours. Pour qui sait observer, il y a bien une évolution, des nouveautés, mais ces changements sont peu visibles, car localisés et trop lents à l'échelle humaine. N'en déplaise à Charles Baudelaire, le parisien a beaucoup plus changé que sa ville.
D.L
Architecte et historien, Michaël Darin est professeur d'histoire de l'architecture et de la ville à l'École nationale supérieure d'architecture de Strasbourg. Auteur de nombreux articles, il a également publié plusieurs ouvrages dont, en 2009, La Comédie urbaine, paru aux éditions Infolio et Patchworks parisiens chez Parigramme.
Paris, la forme d'une ville.
Précis d’anatomie urbaine du Moyen Âge à nos jours