Cette histoire fascine, pour deux raisons et d'abord parce qu‘elle reste difficile à objectiver. L’amplitude du crime est soumise aux seules déclarations des victimes et à leur restitution policière, au sein d'une population en croissance considérable, surtout au XIXe siècle et qui privilégie l’enfermement depuis la Révolution. il est difficile de faire des comparaisons équitables entre les périodes. Ensuite, elle conduit au vieux débat de société qui pèse depuis l'époque des lumières sur le statut et le destin du criminel, du voleur, du violeur, de tous les marginaux qui franchissent la ligne jaune : l‘efficacité des peines ? La possible rédemption ? L‘enfermement salutaire ? la peine de mort efficace ? éducation contre prison etc. "Ouvrez des écoles et vous fermerez des prisons" : l'expression d’Hugo a fait long feu, mais pas le questionnement social, ni celui sur la nature du mal.
Le châtiment du criminel Soleilland -® Coll. Dixmier et Kharbine-Tapabo |
Aux questions : Quid de l'évolution des crimes et des délits ? Paris est-elle plus dangereuse aujourd'hui qu'hier ? Le risque dans la ville a-t-il cru ou décru ? Les auteurs ne peuvent malheureusement pas apporter de réponse. La population de Paris a décru, la ville a repoussé en dehors de ses limites ses classes les plus dangereuses socialement et l'arsenal policier est de nos jours autrement plus important que celui d'autrefois. La décrue intra-muros du crime, de la prostitution et des vols est certaine, alors que le taux d'enfermement augmente, les incivilités se multiplient et les serial-killers n'ont jamais été aussi nombreux qu’en ce début du XXIe siècle. La sécurité reste un thème favori des campagnes électorales.
Landru dans le sous-sol du Palais de justice, pendant la délibération des jurés -® Excelsior et Roger-Viollet |
Ce sont les réalités historiques et les questions ouvertes que posent Dominique Kalifa et Jean-Claude Farcy dans ce livre richement illustré. On s‘amuse à constater ces terribles affaires criminelles du passé, qui font maintenant partie du pittoresque urbain. Chantées comme la bande à Jules Bonnot, filmées en reconstitution kitch comme les crimes de la Belle Epoque ou plus loin encore, l‘évocation de l'affaire des poisons ou de Mme de Brinvilliers. Les Mystères de Paris d’Eugène Sue, le commissaire Maigret de Simenon, les arrondissements de Léo Malet illustrent maintenant la légende de Paris : ténébreux, propice aux affaires louches, inquiétant, poétique finalement. Le mythe des Apaches survit chez les auteurs contemporains, comme les querelles de bandes et les territoires dangereux que la ville a fait naître : la bastoche, la courtille, tout cela est maintenant bien suranné. Adieu Vidocq, Nicolas le Floch, mais combien on adore ça !
Affiche pour la parution des Mysteres du lapin blanc, par Jules Boulabert -® Bibliotheque Forney et Roger-Viollet |
Cet Atlas du crime couvre aussi l'époque contemporaine, dont on peut bien se demander la place qu'elle tiendra dans une histoire qui, jusque là, n’a jamais manqué d'imagination ? Réponse : La tradition reste et restera intacte ! Le crime d’aujourd‘hui marque durablement l'opinion publique par ses outrances : crimes d’enfants, prostitutions exotiques, gangs de multirécidivistes, affaires Paulin ou Guy Georges, viols en tournantes, économie parallèle etc. Le crime s‘appelle "délinquance" dans la novlangue et garde un point d'accroche qui se nomme "banlieue" : territoire sans frontière identifiable, sans identité affichée et réceptacle de toutes les peurs comme de toutes les inquiétudes : c’est le parfait candidat au mythe. Multiplication des zones d'autrefois, ces nouvelles cours des miracles auront sans doute le destin de Saint Marcel, Belleville, Popincourt et autres petites et grandes truanderies du passé. Mais pour l'instant, Nestor Burma n'a pas franchi le périphérique et les “quartiers“ n'ont pas leur roi de thunes. C'est une question de temps et de littérature. C’est incroyable d‘apprendre dans ce livre que toutes les sources sur la cour des miracles sont postérieures à sa disparition !
Le drame de la rue Berth. Petit Journal du 5 novembre 1899 -® Coll. Kharbine-Tapabo |
Le crime parisien est un repenti qui a purgé sa peine et raconte ses histoires à la terrasse d’un café, comme un vieux devant de petits enfants ébahis que tant d’horreurs ait pu naitre aux Halles, dans le faubourg Saint Antoine ou dans les ténèbres des quais d’antan. Même la préfecture de police, quai des orfèvres, palais des émotions, vit ses dernières heures, avant un départ pour d’autres lieux, vers d'autres histoires sinistres, laissant derrière elle des chiffres sur un pèle-mêle sans passion ni colère.
D.L
Feuilleter le livre :
http://www.parigramme.com/livre-atlas-du-crime-a-paris-426.htm
Dominique Kalifa est professeur à la Sorbonne-Paris I et membre de l’Institut universitaire de France. Il a notamment publié Les Bas-fonds. Histoire d’un imaginaire, au Seuil en 2013, et Biribi. Les bagnes coloniaux de l’armée française, chez Perrin en 2009.
Jean-Claude Farcy, historien de la justice des xixe et xxe siècles, a été chargé de recherche au CNRS. Il est aujourd’hui membre du comité de rédaction de Criminocorpus. Il a en particulier publié Histoire de la justice en France de 1789 à nos jours, à La Découverte en 2015.