Curieusement, ce n'est pas un autoportrait qui se trouve sur l'affiche de l'exposition du Grand Palais mais celui de la duchesse Gabrielle de Polignac. Amie et confidente de la reine Marie-Antoinette, elle fut l'une des étoiles les plus emblématiques de la cour royale sous le règne de Louis XVI. Accusée d'avoir dilapidé les fonds publics par des rentes colossales, d'avoir abusé de la générosité de la Reine et de lui avoir donné de mauvais conseils sur son attitude, elle quitta Paris en 1789, après la prise de la Bastille, avec une bourse donnée par la reine pour ne plus jamais y revenir. Ce portrait de la favorite date de 1782, celui de la vicomtesse de Vaudreuil, née de Riguet de Caraman-Chimay fut réalisé en 1785, cette dernière suivra aussi le train de l'émigration dans la tourmente, mais reparaîtra sous la restauration des Bourbons. Mme Vigée-Lebrun retrouvera les Vaudreuil et les Polignac dans la communauté endolorie des exilés français de Vienne.
Vicomtesse de Vaudreuil |
Sur les routes d'Europe se trouvaient aussi les filles de Louis XV que Vigee-Lebrun avait bien connu à Versailles et retrouva à Rome en 1791 au moment de la fuite de Varennes. Le portrait d'Adélaïde est celui d'une femme vieillie par les épreuves, bien loin de celui réalisé par Mme Labille-Guiard en 1787 (à gauche)
Madame Adélaïde par Labille-Guiard |
Madame Adélaïde par Vigée Lebrun |
La ressemblance dans le deuil avec sa sœur Victoire est saisissante.
Madame Victoire par Vigée Lebrun |
Les deux princesses ne revirent jamais la France, toujours pourchassées par les armées révolutionnaires, mais eurent la consolation d'échapper au destin funeste de la sœur du Roi, Élisabeth qui meurt à trente ans sur l'échafaud le 10 mai 1794.
Madame Elisabeth par Vigée Lebrun |
Madame Elisabeth par Labille-Guiard |
Lorsque la Révolution éclate, elle choisit de rester par compassion près de Louis XVI, de Marie-Antoinette et de leurs enfants. Fille curieuse que cette princesse sans mari, sans passion, recluse au milieu des missels et des chapelets, sans rien qui puisse vraiment la condamner et sans rien qui eusse pu la sauver. Personnage énigmatique qui n'a pas voulu fuir, quand ses deux autres frères l'ont fait et dont on ne connaît toujours pas la dernière demeure. Le portrait date de 1782. A droite, Celui peint par Labille-Guiard date de 1788.
Comtesse du Barry |
Elle n'a également pas voulu fuir, elle est restée chez elle à Louveciennes, qu'elle ne pouvait quitter très longtemps : Jeanne Bécu, devenue comtesse du Barry, d'origine très modeste mais longtemps maîtresse du roi Louis XV, puis du duc de Brissac, avait pourtant certaines raisons à redouter l'avenir. Elle sera guillotinée le 8 décembre 1793. Le portrait date de 1781.
Princesse de Lamballe |
Non pas guillotinée mais massacrée, la princesse de Lamballe qui fut enfermée un temps à la prison de la Force avant son calvaire pendant les massacres de septembre où sa tête fut promenée dans les rues de Paris. Le portrait date de 1783. Très proche de Marie-Antoinette et rivale en amitié de la duchesse de Polignac, elle lia son destin à celui de la Reine en l'accompagnant jusqu'au Temple au lieu de fuir avec sa famille, ce qui lui coûtera la vie.
Duchesse Marie-Adélaïde de Bourbon |
Marie-Adélaïde de Bourbon dont le portrait ici date de 1787 et son père le duc de Penthièvre sont épouvantés par la fin atroce de leur belle-sœur et belle-fille, la princesse de Lamballe. Il considérait la princesse comme une seconde fille et avait proposé la moitié de son immense fortune en échange de sa vie. De plus, le rôle de son gendre Philippe-Égalité (époux de Marie-Adelaïde) dans la condamnation à mort de Louis XVI l'avait scandalisé. Surnommée la « veuve Égalité » après l’exécution de celui-ci le 6 novembre 1793, Marie-Adélaïde est incarcérée à la prison du Luxembourg et n'échappera à la guillotine que grâce à la chute de Robespierre en Juillet 1794. Le Directoire lui demandera pourtant de quitter la France, comme tous les Bourbons, en 1797, c'est la mère du futur Roi des Français de 1830 : Louis-Philippe d'Orléans.
Germaine de Staël |
La Révolution transforma aussi en fugitive une de ses plus ambigües protagonistes : la redoutable Germaine de Staël. La fille de Necker, apôtre des idées nouvelles, dû s'exiler à son tour sous la Terreur, puis ensuite à la demande de Napoléon, qu'elle détestait cordialement, et réciproquement. Ses idéaux éclairés, ses origines protestantes et suisses et son statut de femme d'ambassadeur, lui permirent des aller-retours pendant ces années et son logis, ouvert aux suspects, lui permettait de protéger ses amis derrière le rideau. Le portrait romantique de Germaine date de 1808, lors d'un séjour en Suisse de Mme Vigée-Lebrun que ne quittait plus l'ambitieuse traquée par l'Empereur. Paradoxalement, elle ne reverra Paris qu'accompagnée des Bourbons. Une statue de celle qui signait ses correspondances Necker de Staël d'Holstein accompagne celle de Mme Vigée -Lebrun sur le côté de l'Hôtel de ville de Paris réservé aux parisiennes.
Comtesse de la Châtre |
Autre destin fameux, peint ici en 1789, est celui de la comtesse de la Châtre, épouse du comte du même nom qui attacha ses pas à ceux de Louis XVIII lors de sa fuite et combattit avec les Anglais pendant toutes les guerres napoléoniennes jusqu'en 1815. Sa femme, acquise aux idées nouvelles comme Mme de Staël et, comme elle, proche des banquiers, elle refusa de suivre son mari vers l'exil. Avec son amant le Comte de Jaucourt, ils recevaient ceux qui croyaient possible un royalisme constitutionnel. Jaucourt et celle qui devint son épouse firent partie des rares équipages à particule à traverser brillamment tous les changements de régime sans erreur fatale jusqu'à la fin des hostilités. Mieux encore que Talleyrand, qu'ils connaissaient bien, ils soutinrent tous les régimes jusqu'au second Empire !
Comtesse Pauline de Beaumont |
Chateaubriand, le plus célèbre des émigrés, retrouva son pays grâce à Germaine de Staël qui fit le nécessaire pour le faire rayer de la liste des émigrés. A son retour, il fut séduit par la candeur de Pauline de Beaumont, portraiturée ici par Mme Vigée-Lebrun en 1788, dont il fit sa maîtresse. Pauline de Montmorin (1768-1803), comtesse de Beaumont
avait vu disparaître toute sa famille sur l'échafaud le jour même où fut exécutée Mme Élisabeth, le 10 mai 1794. Ce jour là, sa mère, sa sœur, ses deux frères, ses cousins de Sérilly et d'Étigny sont dans la même charrette. Elle n'échappa, dit-on, au supplice qu'en raison de sa pâleur et de sa maigreur, qui laissait penser qu'elle n'en avait pas pour longtemps et fut recueillie terrorisée chez des paysans.
Princesse de Talleyrand |
Terminons cette galerie de portraits de fugitives fameuses de passage au Grand Palais par une touche de gaieté et d'exotisme par un destin surprenant à l'image des bouleversements de ces années là. Elle fut peinte par Mme Vigée-Lebrun en 1783. “Je suis d'Inde“ disait sans comprendre sa sottise la femme de Mr Grand, née Catherine Worlee à Pondichéry et épousée par ce négociant anglais aux Indes. Grande et belle, courtisée autant que courtisane, elle multiplia les amants, fréquenta les salons parisiens, les banquiers et les espions anglais jusqu'à sa rencontre en 1799 avec Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, prêtre-jureur, évêque d'Autun et ministre des Relations extérieures de la République. « Le pouvoir qu’elle avait sur lui avait cela de repoussant qu’on ne pouvait lui assigner que la plus charnelle origine. » (Molé). Elle l'épouse en 1802 et encombrera la vie et la réputation du prince jusqu'à sa mort. Il fera inhumer la belle indienne en pleine terre au cimetière Montparnasse, ou l'étrange espace sans insigne ni décor est toujours visible et conservé comme concession historique !
D.L
Exposition du 23 Septembre 2015 - 11 Janvier 2016