La vie du vainqueur surprise du prix Goncourt en 1919 avec « à l’ombre des jeunes filles en fleur » s’articule autour d’une géographie réduite. Elle fut portée en grande partie par le faubourg Saint-Honoré quand tout semblait l’attirer de l’autre côté de la Seine, vers l’autre faubourg, plus aristocratique et d'un goût plus sûr, vers les salons prestigieux qu'il rêvait de fréquenter. Ses parents, Adrien et Jeanne demeuraient rue Roy dans le 8ème arrondissement, près de Saint-Augustin et des fortunes aussi récentes que cette église, puis ce sera le boulevard Malesherbes, et enfin la rue de Courcelles. Marcel sortira peu de son quadrilatère du demi-monde et sera scolarisé au lycée Condorcet.
Le jeune homme pâle, ému jusqu’aux larmes par les baronnes et les duchesses de la Belle Époque, grisé par celles qu’il croisait au parc Monceau, au bois de Boulogne, voire aux Champs-Elysées, avait trop cette conscience douloureuse d’être une pièce rapportée par le fruit du hasard dans le puzzle mondain, une pièce trop accessoire aussi. Ses origines bourgeoises comme les fréquentations de sa mère, née Weil, ne lui donnaient que peu d’espoir d’être reçu dans les hôtels particuliers du noble faubourg. C’est par l’assiduité de ses amitiés avec la famille Daudet, particulièrement Lucien, qu’il visitait assidument au 31 de la rue de Bellechasse et du baron poète, dandy et décadent Robert de Montesquiou-Fezensac, surnommé « Grotesquiou » par certains et dont l’hôtel se trouvait 41, quai d’Orsay. Il inspirait l’air satiné de la grenouillère, sans jamais le conserver très longtemps.
Michel Erman détaille toujours ce parcours avec une grande précision. C’est encore et toujours sur la rive droite, au 32 rue de Miromesnil, qu’il guettait quotidiennement, vénérablement, l’élégantissime comtesse Elisabeth Greffulhe, qui se trouvait être, par un heureux hasard, la nièce de l’homme de lettres du quai d’Orsay portraituré par Boldoni : " Je n’ai jamais vu une femme aussi belle " osait-il.
Après la mort de sa mère en 1905, le bel appartement de la rue de Courcelles lui devint insupportable. Il choisit pourtant de rester fidèle aux lieux familiers : il s’installe au 102, boulevard Haussmann. C’est là, entre quatre murs renforcés de liège pour amortir les bruits de l'extérieur, reconstituée pour nous au musée Carnavalet, que devaient revivre les souvenirs de Combray, des jeunes filles et du baiser tant attendu, qui ne manquait jamais l'heure dite et son signal : le grincement du portail que venait de fermer Monsieur Swann en quittant la maison. À cette adresse, au 2ème étage, allait naitre le romancier.
102, Boulevard Haussmann |
D.L
Le Paris de Proust par Michel Erman – Editions Alexandrines -
N°ISBN 9782370890207 - 7,90 € TTC
http://www.alexandrines.fr/alexandrines-la-france-des-ecrivains/82-le-paris-de-proust.html