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  • L'incroyable histoire du Cancan par Nadège Maruta

    L'incroyable histoire du Cancan par Nadège Maruta

    Quoi de plus parisien que le cancan ? Appelé aussi coincoin ou chahut, cette danse était déjà pratiquée lors de la fête des blanchisseuses de Montmartre au début du XIXe siècle. Nadège Maruta, elle-même ancienne « chahuteuse », publie cet hymne à la gloire de la danse de caractère  avec ses sauts exagérés, ses gestes impudents, moqueurs, mais d'une grande technicité, très inconvenante lors des bals publics, mais  accompagnée d'une folle gaieté qui symbolise Paris pour les touristes du monde entier : il suffit pour s’en rendre compte de compter les cars de touristes sur le boulevard de Clichy. Le « french » cancan est une spécialité nationale depuis deux siècles...

    Bien qu’un temps tombé en désuétude, Jean Renoir le remet au goût du jour en 1954, avec un film mythique à la gloire de la naissance du Moulin Rouge. On y voit Jean Gabin en directeur du célèbre cabaret de Pigalle, la danseuse Françoise Arnoul dans le rôle de la nouvelle star blanchisseuse Nini et Philippe Clay prenant le rôle de Valentin le Désossé. Porté par une chorégraphie magistrale et des danseuses exceptionnelles, le film gagne son pari en devenant un succès mondial, très bon chic bon genre. D’autres regrettèrent que cette réalisation ait oublié le caractère individualiste et le mauvais ton qui fit pourtant son originalité aux âges obscurs. Sacrifié à la pudeur, le cancan était devenu convenable.



    On a donné ce nom à une sorte de danse épileptique ou de delirium tremens qui est à la danse proprement dite ce que l’argot est à la langue française



    Ceci est écrit dans un dictionnaire de la danse de 1895. Une danse immorale que la bonne société du temps rejette pour son absence de maîtrise de soi et sa provocation érotique : sous leurs jupons, les femmes de l'époque portent des culottes fendues, rendues obligatoires par Napoléon ! mais les danseuses les montrent de manière ostentatoire avec une couture, ce qui traduit un signe évident d'insoumission à l’autorité ! Rigolboche invente en 1857 la série mécanique des levées de jambe à hauteur des yeux : une attraction alors sans égal.Cancan : coup de pied au chapeau Au Chicard, au Tabarin, au Bullier, au Mabille, à l’Élysée-Montmartre ou au Moulin Rouge, les pas du cancan raisonnent des bals de barrières aux cabarets les plus prestigieux. La surveillance policière des quartiers mal famés s’efface devant les reflets magiques des bulles de Champagne. La jeunesse, l'ivresse de la danse, la musique, les cris et le martellement des talons sur les planchers accompagnent gaiement les soirées parisiennes jusqu'au tournant du siècle !

    Les plus célèbres danseuses de cancan furent Nini pattes en l’air, Grille d’égout (que Réjane, élève à l'occasion, appelait “Mademoiselle d'égout”), Jane Avril et surtout la Goulue, 16 ans , rousse, fraiche et aimant trinquer avec le populo. Ces deux dernières, suivies par un grand danseur, maigre et laid : Valentin le désossé, furent immortalisés par le peintre nain Henri de Toulouse-Lautrec, le Michel-Ange des lupanars.Henri de Toulouse-Lautrec Comme des chevaux de grand prix, Les danseuses portaient des noms poétiques : Pigeonnette, Mimosa, Reine des prés, Saphir Topaze, demi-Siphon, la vorace, la toquée, bébé j’ten fiche, pas d’lapin, l’araignée , Camélia dite trompe la mort, marie casse-nez, Nana sauterelle, la môme fromage etc. Qui n'accourait de tout côté pour ces audacieux quadrilles excentriques, dont la hardiesse et la gymnastique défrayaient la chronique ? Le 21 septembre 1885, le Figaro annonce comme un évènement mondain que l’Alcazar engage la goulue, grille d’égout et 2 danseurs sur la scène de l’Alcazar, rue du faubourg poissonnière « le quadrille cancanesque » : pour les danseuses du Moulin Rouge, c'est la consécration ! 

    Prodigieusement riche, la chorégraphie comme le pas du cancan traduisaient un pied de nez à l’Église, à l'Armée et à la Morale, d'où les noms évocateurs des acrobaties : le grand écart, le coup de cul, le salut militaire, le pas du croyant, la cathédrale etc. Là encore, la chorégraphie « moderne » ne conserve pas, hélas, l'infinie variation des pas de danse, comme elle rend anonymes ses acteurs dans un ballet stéréotypé, pour en faire souvent un vrai fourre-tout commercial. L’uniforme de la danseuse se standardise de bas noirs, jarretelles et froufrous. Le danseur, de son côté, porte un gilet impeccable.

    Bien plus que l'histoire du cancan, c'est une véritable histoire des bals et de la danse populaire au XIXe siècle que nous raconte ce livre : comment un style futile et condamné d'avance par ses outrances a gagné ses lettres de noblesse par d’immenses qualités  dont la moindre n'est pas cette étrange impression du bonheur de vivre qui touche ceux qui sortent des spectacles, encore de nos jours. Jacques Offenbach et son célèbre « galop infernal » d'Orphée aux enfers, y fut aussi pour beaucoup au cours d'un siècle de vie parisienne, alors que le compositeur refusait impérialement de voir sa musique défigurée par les cavalcades des cabarets. Ironiquement, c'est ce qui la fit devenir mondialement connue et un symbole international de Paris  ! 
    D.L