Avec l’abattage de ses enceintes, Paris passe d’une ville close à une ville ouverte, avant de se refermer à nouveau avec les propylées de Nicolas Ledoux. Cette liberté d’extension permet d’occuper de nouveaux espaces, surtout vers l’Ouest et vers le Sud, elle fascine les architectes et passionne les élites. Le renouveau de la construction monumentale s’accompagne de celui de la maison particulière, qui connaît son apogée dans l’abondance d’hôtels entre cours et jardins, sur les faubourgs Saint-Germain ou Saint-Honoré. La création des boulevards, le renouveau des jardins à la française sont visibles sur le plan de Michel-Étienne Turgot de 1739, comme l’est cette frénésie de chantiers dans le précieux témoignage de Louis-Sébastien Mercier, modèle du promeneur de Paris.
Les ornements complexes la fantaisie Rocaille prennent le dessus, au début du siècle, sur un classicisme aux règles simples mais strictes, imposées par la gravité du Roi Soleil et de Madame de Maintenon. La page se tourne, prestigieuse mais essoufflée du « grand genre versaillais » et s’ouvre une parenthèse de mouvements et d’innovations dans les pilastres, cartouches, mascarons et balcons, comme dans les intérieurs, d’où cette incroyable émotion comme celle que Germain Boffrand fait naître dans le décor de l’Hôtel de Soubise. Puis la ligne droite et stricte reviendra dans une séquence éblouissante et la maitrise de l’architecture complexe. Avec Gabriel, Chalgrin, Boullée ou Brongniart, le modèle n’est pas tant l’Antiquité que la colonnade du Louvre, œuvre considérée comme inégalée. Le chef d’œuvre du siècle sera l’église Sainte-Geneviève de Soufflot, notre Panthéon, qui condense les avancées les plus étonnantes comme les traditions les plus anciennes. Depuis, on ne saura faire plus éloquent, plus magistral.
Du livre de Nicolas Courtin, le lecteur peut aussi retenir le dialogue permanent qu’entretinrent ces édifices entre eux, de celui qui se remarque à peine, au plus célèbre, pour établir une règle qui n’avait pas été aussi aboutie depuis l’âge des cathédrales. De cette symphonie de pierre, nous n’avons qu’une pauvre idée aujourd’hui, en raison du saccage systématique qui a suivi. Il n’est que plus nécessaire de revenir sur cette cohérence et relire l’agencement de la place de la Concorde comme un vestige : c’est de la ville idéale dont il est question, d’un Paris merveilleux. Le renouveau classique se voit dans l’architecture publique, l’architecture religieuse et surtout l’architecture domestique : c’est ce qui le distingue nettement du siècle précédent dans l’abondance de style pour l’habitat particulier, que ce soit l’Hôtel, l’immeuble de rapport ou même la boutique. De là naitra l’admiration, la volonté de recevoir et la mode des salons parisiens, espace de sociabilité propice aux conversations, aux jeux et aux concerts. « Il faut être un homme du monde avant d’être un homme de lettre » disait Voltaire. On compte 62 Hôtels ainsi fréquentés à la veille de la Révolution dont le plus célèbre est celui de Mme Geoffrin, qui existe toujours au 374 rue Saint-Honoré.
Bien que las de l’accumulation de colonnes antiques, Louis-Sébastien Mercier évoque dans son tableau de Paris « sa grandeur illimitée, ses richesses monstrueuses, son luxe scandaleux ». Il était sous le charme de la grand ville qui redécouvre aussi la nature dans l’esprit du siècle de Jean-Jacques : le jardin, le parterre de fleurs, la promenade plantée des boulevards, nature domestiquée qui devient campagne au-delà. Dans les villages aux alentours, qui sont aujourd’hui annexés à Paris, se développèrent des propriétés à l’écart de la stricte règlementation parisienne : plus de liberté, de vastes jardins, des fabriques : Ainsi Bagnolet (Necker), Passy (La Popelinière), Bagatelle (Artois), Monceau (Orléans).
La maçonnerie a recomposé un tiers de la capitale depuis vingt-cinq années. On a spéculé sur les terrains et l’on a vu des monceaux de pierre s’élever en l’air et attester la fureur de bâtir… Le parvenu veut avoir des appartements spacieux, le marchand prétend se loger comme un prince. L-S Mercier Tableau de Paris. 1783
Dans les intérieurs, réalisations prestigieuses et éloquence en pierre de taille souffrent du contraste avec la ville médiévale alentours qui les enserre, provoque des encombrements considérables, une hygiène déplorable et qui au final les menace. Le Petit-Pont et l’Hôtel-Dieu flambent en 1718, puis à nouveau vingt ans après en 1737, en 1763 c’est le tour du Palais Royal, puis l’Hôtel-Dieu une troisième fois en 1772. Selon le vœu de Voltaire, Paris se dote « enfin » d’une véritable salle de théâtre en 1782 : l’Odéon. Il brule une première fois en 1799, puis à nouveau en 1818. Le feu, mais aussi la saleté des rues et au dessous : les cavités qui s’effondrent, les cimetières engorgés de sépultures qui sont déplacés à la fin du siècle dans les catacombes. Devant l’évidence et les risques avérés, l’inquiétude nait : une idée qui fera son chemin, mais sans vraiment y remédier avant le siècle suivant où la « ville comme un jardin » sera au cœur de l’utopie d’un Napoléon III avec de belles perspectives dégagées pour mettre en valeur les joyaux du siècle des lumières.
D.L