Pour vous y rendre, il est indispensable de réserver par Internet pour éviter les deux heures d’attente. Prévoir tout de même une bonne demi-heure, même si la file d’attente est réduite car le vénérable établissement, pourtant spacieux, ne peut accueillir plus de 300 personnes simultanément ! Chiffre qui comprend ceux qui visitent la collection permanente, ceux qui restent à la cafétéria ou au restaurant d’intérieur. Précision amusante : le réaménagement du palais en 2005 visait à en améliorer l’accès ! Prévoyez aussi un parapluie si vous arrivez par temps incertain : vous n’aurez pas d’abri. Une fois cette première file passée, viendra celle du vigipirate, puis celle de la caisse où il vous faudra payer 11 Euros, si vous ne bénéficiez pas de réductions comme celles de ceux qui pensent en disposer et cherchent des justificatifs. L’exposition ferme à 18h, mais on commence gentiment à vous pousser dehors une fois les caisses fermées à 17 h. Calculez vous-même : Inutile d’arriver après 13h ! Sauf si vous choisissez la nocturne du jeudi jusqu’à 20h. Pour ce prix, vous n’aurez pas droit au rituel dépliant, il est en vente 1 Euro aux caisses et l’audio guide est disponible pour 5 Euros, mais la Belle Époque n’a pas de prix. Cela dit, les expositions permanentes sont gratuites et accessibles, sans file d’attente, ou presque. Voilà pour la politique commerciale…
L’exposition débute par la fameuse exposition internationale de 1900 et ses nombreux pavillons, ses jeux Olympiques, son Paris 1400 reconstitué par Robida le long de la Seine, sa première ligne de Métro ouverte pour l’occasion et ses trois nouvelles gares : Lyon, Orsay, Invalides. La perspective du promeneur couvrait les Invalides, le pont Alexandre III, les deux Palais, Grand et Petit et même l’Élysée, qui s’affichait fièrement à l’époque et ne se cachait pas au fond des bois comme aujourd’hui. La suite se tenait au Champ de Mars, relié par un immense trottoir roulant, visible sur une vidéo, miracle de la technique. C’est sans doute la partie la plus intéressante du parcours reconstitué au Petit Palais, source de nombreuses découvertes qui sont rarement présentées au public, mais trop concise devant l’importance du sujet. Quel dommage !
De belles sculptures de Rodin, Camille Claudel, Bourdelle et Dalou tracent une sinuosité grandiose au milieu des toiles : Les œuvres de Cézanne, Monet, Renoir, Pissarro, Vuillard, campent à côté de celles de Gérôme, Bouguereau ou Gervex qui côtoient les Lautrec, Boldoni, de la Gandara et Béraud. Une profusion qui vise à donner un aperçu de la variété picturale et des conflits artistiques de l’époque, mais sans réelle pédagogie d’ensemble. L’effet se renouvèle dans la suite qui honore l’Art Nouveau : Les objets-souvenirs de Sarah Bernhard ont fière allure dans une reconstruction d’apparat très réussie et un intérieur majestueux décoré Gallé, Guimard, Majorelle, Lalique ou encore Mucha. La salle impressionne le visiteur devant tant de chefs d’œuvre.
Viennent ensuite les trésors de la mode Belle Époque avec l’évocation de la parisienne, mythe qui s’applique alternativement à la midinette du boulevard ou à la bourgeoise des beaux quartiers. L’apparat des tenues de Worth, Paquin ou d’autres grandes maisons est mis en parallèle avec le succès prometteur des Galeries Lafayette ou du Printemps. Les amoureuses du rétro y verront de belles choses exhumées du musée Galliera mais à nouveau sans une vraie histoire à raconter. On attend davantage de cette exposition qu’un défilé de mode vintage. S’il est question de ville spectacle, de quel spectacle parle-t-on ?
La dernière partie est consacrée à la nuit dans la ville lumière où l’électricité remplace les becs à gaz. Maxim’s et les clubs se remplissent de demi-mondaines : Clio de Mérode : des photos d’époque et un buste évocateur, mais aussi Liane de Pougy star des alcôves mondaines ou la danseuse Caroline Otéro. Le populaire s’encanaille au Moulin Rouge, au bal Tabarin, au Chat Noir. Quant aux maisons closes, un espace isolé rassemble le fameux fauteuil érotique du prince de Galles et des photographies souvenirs du 12, rue Chabanais. Yvette Guilbert, la rousse en robe de satin et gants noirs, chanteuse fétiche de Toulouse-Lautrec et Sigmund Freud, complète le divertissement, assortie à un passage consacré au cinéma naissant. Les salles sont d’ailleurs séparées par de petites galeries où sont diffusées en boucle des images culte des frères Lumière. Le 28 décembre 1895, dans un sous-sol du Grand Café au 14 boulevard des Capucines, au milieu d’une centaine de chaises, a lieu la première séance de cinématographe payante, entrée : 1 franc. Commercialement ce sera un échec, la recette ne couvrira pas la dépense de la salle, la presse ne s’est même pas déplacée. Il faudra quelques années pour que les frères lyonnais, authentiques visionnaires, inventeurs et entrepreneurs connaissent un succès mondial. Au détour d’une entrée, un "Voyage dans la lune" signé par un certain Georges Méliès, autre farouche aventurier d’une industrie naissante…
Quand j’étais adolescent, je faisais dix-sept heures de travail par jour. Il n’y eut pour moi de dimanches ni de fêtes. Je n’eus pas le temps de m’apercevoir que j’avais 20 ans – Louis Lumière
Cette vision dorée présente des trésors, survole différentes facettes de l’époque 1900 à la manière d’un catalogue, mais plonge rarement dans le détail et abuse des raccourcis. Elle prend l’allure d’un cabinet de curiosités. La complexité sociale de l’époque, la fragilité de la République naissante habillée par Jeanne Paquin, la révolution scolaire, la naissance du sport, l’influence coloniale, l’apogée de la presse et de la littérature sont passés sous silence. Plus gênant, le bouleversement technologique passe au second plan quand c’était le fil conducteur de tout le reste. Pasteur est l’inventeur du siècle, il s’est éteint cinq ans auparavant, 3000 rues en France vont porter son nom qui n’est pas cité une seule fois ! Derrière le rideau touristico-érotico-ludique, se trouve le positivisme, le saint-simonisme et l’arrogance de l’industrie et du profit, dont la perception est essentielle pour comprendre la volonté d’en exposer ses résultats dans une grande exposition universelle. Ce qui meuble un inconscient collectif sans cesse à la recherche de nouveautés, de surprises, d’exaltations ou d’excès. Cette nouvelle civilisation n’a pas que des admirateurs, elle a même beaucoup de détracteurs. Cette dualité absente du Petit Palais conduit finalement à ignorer l’essentiel au profit de l’accessoire : Paris 1900 = ville spectacle.
Le mythe de la Belle Époque a encore de beaux jours devant lui. Les
fausses gloires et les vedettes de cabarets deviennent envahissantes dans la postérité. Cela donne curieusement 600 pièces d’une exposition inouïe sans réelle mise en perspective. Le Grand et le Petit palais furent construits à l’emplacement d’un autre palais démoli pour l’occasion : le palais de l’Industrie, version française du Cristal Palace de Londres, pour afficher à la face du monde la puissance et le triomphe de la science, comme la croyance naïve dans le progrès infini. Depuis, cette évidence n’a cessé de s’étioler jusqu’à devenir presque oubliée.
D.L
Exposition Paris 1900 - Petit Palais par paris_musees
Du 2 avril au 17 aout 2014 : http://www.petitpalais.paris.fr/fr/expositions/paris-1900-la-ville-spectacle-0