Autrefois, ces inscriptions jouaient le rôle que remplit l’Anglais aujourd’hui dans les universités. Langue de l’universalité, elle était comprise par la plupart des esprits éduqués. Elle mettait également en relief l’autorité et le prestige du passé. C’était la langue de l’Empire Romain puis de l’Eglise qui pris sa place. Elle était donc la source de la vérité. On va en voir la limite. Les inscriptions en Latin sur les monuments de Paris présentent la double difficulté de la traduction et de la signification, c’est la raison pour laquelle elles sont rarement évoquées lors des visites. Elles sont pourtant très riches en apprentissage, comme va vous le montrer l’exemple qui suit :
Revenons donc à notre Obélisque. L’inscription se trouve sur le socle à l’est, côté jardin des Tuileries :
LUDOVICUS.PHILIPPUS.I.FRANCORUM.REX
UTANTIQUISSUM.ARTIS.AEGYPTIAECA.OPUS.IDEMQUE
RECENTIS.GLORIA.A.D.NILUM.ARMIS.PARTAE.INSIGNE.MONUMENTUM.FRANCIAE.AB IPSA.AEGYPTO.DONATUM.POSTERITATI.PROROGARET.OBELISCUM
DIE.XXV.AUG.A.MDCCCXXXII.THEBIS.HECATOMPYLIS.AVECTUM
NAVIQ.AD.ID.CONSTRUCTA.INTRA.MENSES.XIII.AD.GALLIAM.PERVECTUM;ERIGENDUM.CURAVIT D.XXV.OCTOB.A.MDCCCXXXVI.ANNO.REGNI.SEPTIMO
La traduction de ce texte se trouve du côté opposé, celui qui regarde vers les Champs-Élysées :
En présence du Roi Louis-Philippe Ier, cet obélisque, transporté de Louqsor en France, a été dressé sur ce piédestal par Mr Lebas, ingénieur, aux applaudissements d’un peuple immense, le 25 Octobre 1836
Très bien, sauf que ce n’est pas du tout ce qui est écrit dans le texte Latin ! Voici la vraie traduction :
Louis-Philippe Ier, roi des Français, pour diffuser à la postérité une très ancienne œuvre de l’art égyptien et, en même temps, la récente gloire obtenue par les armes sur le Nil, a veillé à ériger ce remarquable monument, offert à la France par l’Egypte elle-même. Cet Obélisque, chargé le 25 Aout 1832 à Thèbes aux cent colonnes, transporté en France le 25 octobre 1836 en Treize mois sur un navire spécialement construit, en la septième année de son règne.
Comme dans le jeu des sept erreurs, plusieurs infimes différences sont à noter : L’ingénieur Lebas, cité dans la traduction, ne figure pas dans le texte latin original. Ce dernier privilégie le Roi dans la maitrise d’œuvre du projet. Ensuite, le texte latin laisse croire que le transport aurait duré Treize mois alors qu’il ne s’agit que de la durée du trajet entre Louxor et Cherbourg. Dans la réalité, Le voyage a été beaucoup plus long, particulièrement entre l’embouchure de la Seine et la place de la Concorde. Cette durée est donc minimisée. Ce point n’est même pas évoqué dans La traduction. Le texte en Français est introduit par la présence de Louis-Philippe Ier, ce qui n’est pas le cas de l’inscription latine, qui ne mentionne pas ce détail. On sait que le Roi est apparu sur le balcon de l’hôtel de la Marine uniquement à l’instant de la levée de l’Obélisque, comme dans une mise en scène réussie.
Enfin, plus étrange encore, le texte original mentionne une « récente gloire obtenue par les armes sur le Nil ». De quoi s’agit-il ? La mention de l’évènement n’est pas reprise dans la traduction et reste controversée. S’agit-il de la victoire de Napoléon à Alexandrie et aux Pyramides face aux mameluks en 1798 ? L’évènement semble un peu ancien, 37 ans ! pour être mentionné ici, mais cela reste possible. « RECENTIS.GLORIA.A.D.NILUM.ARMIS » : S’agit-il de la prise d’Alger le 5 Juillet 1830 ? Mais alors, dans ce cas, ce n’est pas sur le Nil, mais bien loin de là et par ailleurs, reste à l’initiative de son prédécesseur Charles X, renversé par les « Trois glorieuses » l’année même où se décida l’expédition ? Dans les deux hypothèses, il y a exploitation de faits d’armes qui ne sont pas imputables à Louis-Philippe Ier. Le mystère reste entier. Récupération ?
Voilà donc un exemple de ce que vous pouvez trouver dans ce livre rare de Laurence Gauthier et Jacqueline Zorlu qui détaillent brillamment un grand nombre d’inscriptions latines de la capitale. La compréhension de ces témoignages du passé est essentielle pour appréhender l’érudition de la plupart des monuments ; elle se montre souvent riche en révélations, comme en mystères. LUCOTETIA.LEGENDA.EST D.L