Que montrait-elle, cette carte ? Une multitude de visages, d’innombrables anecdotes comme le plus beau des romans. Une comté de petits villages aux noms suggestifs : Grands-Serments, Billets-Doux, Légèreté, Tiédeur, Jolis-Vers. On y voit le fleuve d’inclinaison, le lac d’indifférence. Mlle de Scudéry la gardait précieusement chez elle, rue de Beauce, dans le Marais.
Encore plus loin dans le temps, le mythe naquit au 10 de la rue Chanoinesse, dans l’ile de la Cité, chez le chanoine Fulbert qui donna le philosophe Pierre Abélard pour précepteur à sa nièce Héloïse. Les amants de l’enclos du cloitre Notre-Dame restent les figures tutélaires de la romance de Paris, de tous les amants, qu’ils soient photographiés sur le Pont Neuf ou dans la rue Saint-Vincent. À la Conciergerie, un chapiteau de la salle des gardes nous révèle toujours leur image en pierre. Doux vestige d’un autre temps, un cliché du XIIe siècle.
Plus tard, l’histoire des deux amoureux maudits attendrira les philosophes qui verront dans « l’abbesse au cœur qui brule » un martyr de la cause des créatures sensibles. Diderot ne cachera pas son admiration pour cette jeune nonne savante qui préférait l’amour d’un philosophe à toutes les félicités. Toute une génération pleure avec Jean-Jacques et sa « nouvelle Héloïse ». Chateaubriand errant dans le cimetière du père Lachaise entend la voix de la « sainte de l’amour » portée par le vent, le lieu est devenu un lieu de pèlerinage pour la génération romantique depuis qu’on a décidé en 1807 d’y transférer en grand cérémonial les restes de la voluptueuse et de l’amant châtré. Héloïse survécut vingt-deux années à Abélard et lorsqu’on déposa son corps auprès du sien, la légende prétend que “celui qui, bien des jours avant elle, avait cessé de vivre, éleva les bras pour la recevoir et les ferma en la tenant embrassée”.
Aujourd’hui encore, ce monument est fleuri, été comme hiver. En regardant bien aux alentours, vous verrez, gravés dans la pierre, des prénoms entrelacés, des graffitis : « Totor à sa Julie pour la vie » , « Sandy à Marc : je t’aime crapule ! » Ce sont les amoureux sans visage, eux-aussi en vadrouille dans les vertes allées du cimetière. Les mêmes qui sont mis en scène par Willy Ronis ou Kertesz dans la brume du pont des Arts ou sous croisées d’ogives. Ils laissent leur empreinte sur un autre support, ils mettent leur pierre à l’édifice. Ce sont ceux qui s’aiment.
Doux fut le trait qu’amour, hors de sa trousse, tira sur Moi P.de Ronsard (1524-1585)