Loin de l’image ténébreuse qui est souvent donnée en spectacle, le Moyen Âge faisait souvent la fête et s’amusait beaucoup. Près du tiers de l’année était férié et les occasions de réjouissances ne manquaient pas. Qu’elles soient religieuses, civiles ou privées, les circonstances de retrouver la communauté revenaient chaque année, dans un cycle perpétuel, calqué sur le calendrier chrétien. La fête, collective, est magnifiquement organisée dans la tradition ; l’individualisme et l’improvisation n’y ont pas leur place. La Tour Jean sans Peur revient dans cette exposition sur ces ripailles rituelles qui musclaient le corps social et initiaient ses membres à l’apprentissage d’un monde.
Chaque semaine, le jour du seigneur est le Dimanche qui est férié. Il perpétue le jour du soleil antique, septième jour de la semaine dont il reste des traces dans les langues germaniques (Sunday, Sontag). La semaine commence donc le Lundi, quant à l’année liturgique, elle débute par l’Avent : l’attente de l’arrivée du christ, l’adventus du 25 Décembre. Quatre semaines de pénitence, avec trois jours de jeûne par semaine, qui aboutissent à la grande fête magique de Noël. C’ est le jour sacré par excellence, qui coïncide avec le solstice d’Hiver dont la date est fixée depuis 354 par le pape Liberus en remplacement de l’antique fête païenne de Sol Invictus, le soleil invincible : Mithra-Contrat. L’événement est salué par de nombreuses messes, accompagnées de représentations théâtrales sur les parvis.
Suivent douze jours pour passer d’une année à l’autre, période marquée par une frénésie gourmande chez les adultes et la chasse aux cadeaux par les enfants, les fameuses étrennes, les cadeaux ne se font pas à Noël comme aujourd’hui. À l’Epiphanie (du grec theophania : apparition de Dieu), la communauté se rassemble pour tirer la fève et désigner un Roi ! Peu après, le 2 février, vient la fête de la Chandeleur, avec procession à la Vierge Marie et consommation des premiers œufs de l’année dans les crêpes.
Le Carnaval, héritier de la saturnale romaine, avec déguisements dionysiaques et jeux burlesques, se déroule sur les trois jours fastes qui précèdent le carême. C’est l’occasion de faire bombance, mardi-gras et carême-prenant avant d’entrer dans la période chaste qui précède Pâques. Au XIe siècle, Quarante jours de pénitence sont imposés avant la commémoration de la mort du Christ. Cette date étant mobile, elle donne lieu à de savants calculs basés sur la pleine lune qui suit l’équinoxe de printemps, au 21 Mars. Aux farces et pitreries des bouffons, aux défilés colorés sur les chars animés, succèdent l’abstinence et le jeûne, allant quelquefois jusqu’à l’interdiction de rire. À la mi-carême, toutes les interdictions sont levées brièvement avant de reprendre jusqu’au dimanche de Pâques. Ce jour là, les cloches donnent le signal d’allégresse de la Bonne Nouvelle : c’est le jour le plus festif de toute l'année.
Pendant tout le Moyen Âge, le déguisement fait partie du décorum des journées festives, charivaris ou spectacles. Vous pouvez voir à l’exposition une reconstitution du costume porté par les convives du fameux bal des ardents de 1393. Souvent par l’inversion de genres, c’est l’heure des fous, des sots, des sotties, des primitifs qui exaltent les tenues écarlates et voyantes, à l’image du diable qui aime se travestir et donner de l’éclat à ses atours. Le 25 décembre, les enfants s’amusent à « faire l’âne » autour de bouffonneries rituelles, l’animal, habillé d’une chasuble, est porté dans la nef de l’église. Le 26, c’est la fête des fous, le 28, le jour des saints-innocents, les enfants se déguisent encore. Le théâtre religieux se pare de costumes de situation pour la représentation des mystères pendant que se déroulent de spectaculaires défilés costumés. Au 1er Mai, on va « quérir le may » , les jeunes hommes cueillent des feuillages, dont ils font couronnes et ceintures. A
insi décorés l
ors de cette fête du printemps, ils
vont planter des branches sur les maisons de filles en âge de se marier. Certaines plantes, comme celle de l’églantier, donnent le signe d’une vertu douteuse.
Quarante jours après Pâques vient l’Ascension, autre fête liée à la passion, puis le pentekosté, au cinquantième jour, qui rend hommage à la descente du Saint-Esprit sur les apôtres et enfin au soixantième jour, la procession de la Fête-Dieu, qui célèbre l’Eucharistie. En d’autres temps, le culte des saints prestigieux suit l’année à des dates convenues. À la Saint-Jean, le 24 Juin, qui correspond au solstice d’été, déjà célébré dans les rites antiques, on allume un feu au dessus duquel sautent les paysans qui souhaitent éviter les maux de reins à la moisson. À la Saint-Martin, le 11 Novembre, on tue le cochon et la fête galante de la Saint-Valentin est déjà connue comme la plupart des célébrations de saint-patrons de métiers.
Cette inflation du nombre de saints à fêter entraîne le pape Boniface IV à instituer en 605 la fête de tous les saints : la Toussaint, en remplacement de nombreuses dates qui occupaient le calendrier. Elle est fixée au 1er Novembre en 835. Le jour suivant est une fête dédiée à tous les morts depuis le Xe siècle. Chose curieuse pour nous, la célébration régulière des chers disparus est une fête personnelle célébrée avec messes et festins donnés aux proches, aux pauvres, aux pèlerins de passage qui, en échange, doivent prier pour l’âme du défunt.
En outre, on ne célèbre pas d’anniversaire car la date de naissance du nouveau-né est souvent inconnue et sans importance réelle. Le jour de fête important est son baptême, qui signe la fin d’une période pendant laquelle il va directement en enfer, ou dans les limbes, s’il vient à décéder. Il y reçoit son prénom : toujours le nom d’un Saint.
Avec l’inhumation et le baptême, le mariage est la troisième occasion de réunir les familles à l’occasion de rencontres festives. C’est un contrat entre deux familles, il débute par les fiançailles, prélude à la période de quarante jours qui est nécessaire pour permettre les oppositions éventuelles. Au XIIIe siècle, il faut remonter au 7e degré de parenté pour pouvoir se marier, incluant les liens spirituels de parrainages ! Après la cérémonie, puis l’indispensable procession, les festivités durent plusieurs jours avec, bien sûr, le grand festin pour tout le monde, suivi de danses. C’est un moyen d’affirmer son existence sociale et de la perpétuer par la création d’une nouvelle famille.
Les fêtes communautaires, celles des confréries, des métiers, des villes ou celles données à l’occasion d’un événement politique exceptionnel constituent le dernier groupe de célébrations animées. Ces événements rituels sont prévus pour se protéger par superstition, pour renforcer les liens entre ses membres, mais aussi pour affirmer leur importance sociale. Là encore, on retrouve messes, processions, chars décorés, jeux, banquets, tournois et danses, mais sans le cortège liturgique. La danse est particulièrement surveillée par l’Eglise en raison d’attributions démoniaques, proches des rites antiques. La plus répandue est la carole : une ronde, farandole où alternent hommes et femmes reprenant des refrains accompagnés de musiciens. La chaîne peut être ouverte ou fermée mais elle est menée par des femmes. La danse en couple, codifiée, est plus aristocratique.
Un grand banquet est également indispensable, c’est la tradition.
On y mange « honnestement et souffisament ». Un menu plantureux de 1346 pour 30 confrères cite « 10 chevreaux, 4 veaux, 57 poulets, 2 services de poissons, des quartiers de porcs ainsi que XII livres et demie de lard pour billeter les cheviaus et les veaus et pour metre les pastès de poules et pour aider à faire service avec des esquinées de porcs, 25 fromages, 69 patès, 143 tartelettes et quantité de pommes, noix ou autres fruits ». Ce repas précède l’assemblée générale de l’association.
Les tournois, apparentés au cérémonial de la chevalerie , sont fréquents et constituent un instrument puissant de construction de réputation pour les hommes. Les joutes les plus dangereuses sont cependant contrôlées avec sévérité par l’Église en raison du risque de mourir sans confession. Elles ne sont pas réservées à l’Aristocratie et les villes organisent ces spectacles sur la Grand Place, sablée et dépavée pour l’occasion. Le villageois a son tournoi de soule, de paume, de boules, de dés, de cartes ou de quilles. Pour le Mardi gras, on organise des courses à pied pour les hommes, mais aussi pour les femmes.
Les cérémonies royales sont les plus sophistiquées et reprennent les formes festives déjà citées, mais avec une dimension ostentatoire inégalée. Le jour de son baptême, Les parrains et marraines promènent l’enfant royal dans les rues de la ville avec deux cents valets porteurs de torches, suivis des dignitaires de la cour, de princes et de princesses.
Le peuple se doit d’être témoin du jour de son Sacre et son mariage se double d’une fête particulière avec le sacre de sa Reine et sa réception dans la ville, autre cortège fameux. A chaque fois, messes et processions sont organisées avec le plus grand soin. Son Sacre est l’occasion de la reconstitution de l’entrée de Christ dans Jérusalem. Le parcours suit le chemin qui va de la porte Saint-Denis au Palais de la Cité. Le souverain est reçu par la municipalité avec des arrêts réguliers pour assister aux spectacles vivants, quelquefois mécaniques, organisés par les confréries. Le peuple suit le cortège et bénéficie de distributions généreuses tout au long du chemin.
Le jour du sacre du Roi Jean II en 1350, la pompe fut superbe et la dépense prodigieuse. Il arma chevaliers, princes et gentilshommes. Chaque nouvel élu reçut aux frais du roi ses habits de la cérémonie : fourrures précieuses, double tenture d’or et de soie. Paris s’émut à l’aspect de son monarque, les rues furent tapissées ; les artisans, divisés en corps de métiers, les uns à pied, les autres à cheval, étaient vêtus de manière différente pour chaque confrérie. Les fêtes durèrent huit jours. Dans l’église Notre-Dame, très richement parée « séoit le jeune roy, en habit royal, en une chaire élevée moult haut, paré et vestu de draps d’or, si très riches qu’on ne pouvoit avoir plus ; et tous les jeunes et nouveaux chevaliers dessous, sur bas échafauds couverts de draps d’or, à ses pieds,… et séoit le roy en majesté royale, la couronne très riche et outre mesure précieuse en chef. »
Le jour de ses funérailles, c’est une tout autre pompe, conduite par un chariot funéraire de toute beauté, sur lequel repose sa statue, suivie par son héritier et ses pleurants endeuillés porteurs de cierges. Dans un cérémonial éternel, il fait ce jour là le chemin inverse, du palais de la Cité vers la basilique Saint-Denis.
D.L
jusqu'au 10 novembre 2013 – Tour Jean-sans-Peur - 13h30 - 18h, du mercredi au dimanche.
Des conférences (sur réservation) ont lieu autour de l'exposition : mercredi 18 septembre à 19 heures, sur “musiques et fêtes à la cour de Bourgogne” ; mercredi 2 octobre à 19 heures, sur les fêtes agraires au Moyen Age ; mercredi 16 octobre, à 19 heures, “la fête en couleurs : tournois, joutes et rituels chevaleresques”. 01-40-26-20-28 http://www.tourjeansanspeur.com/
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