Paris n’a pas de place centrale, de « grand place », comparable à celles, souvent animées d’autres villes et qui rassemblent en un vaste décor théâtral, l’activité commerciale, voire politique ou culturelle. Ce cœur de ville existait peut-être dans le forum romain, au sommet de la montagne Sainte-Geneviève, qui disparut lors des grandes invasions. Au Moyen Age, les cris de la ville marchande sortaient de plusieurs foires, plus ou moins vastes, en rive Gauche et en rive Droite, mais la traversée des ponts, payante, ne facilitait pas les mouvements. Puis vinrent les lotissements de prestige de places Royales avec leur statue. Enfin, la destruction de l’enceinte des fermiers généraux puis de l’enceinte de Thiers, accompagnée des percées d’Haussmann permirent la création d’un nombre important d’espaces : on en compte plus de 400 à Paris. Des carrefours de circulation qui donnent aujourd’hui ces formes biscornues et pour tout dire inhospitalières aux piétons, à ces endroits que l’on appelle pourtant des « places ». A l’occasion de la livraison de la nouvelle place de la République, il n’est pas superflu de remettre cela en perspective. Géraldine Texier-Rideau, nous éclaire sur cette histoire au cours d’une conférence à la Cité de l’Architecture diffusée en 2011…
Ces places importantes du Moyen Age, on les repère facilement sur ces plans réalisés postérieurement, mais qu’on pense assez fidèles. Ce sont les places : Maubert en Rive Gauche, Notre-Dame dans l’île de la Cité, celles du faubourg Saint-Antoine (Bastille), des Champeaux (Halles) ou encore de la maison aux piliers (Hôtel de Ville) en Rive Droite. Aucune n’avaient cependant les dimensions suffisantes pour accueillir une grande foire comparable à celle du Lendit qui se trouvait entre Paris et Saint-Denis. Elles recevaient plutôt des évènements religieux, civils, juridiques ou de petits marchés spécialisés. Aux Halles, par exemple, cette activité cohabitait avec celle du cimetière des innocents, à proximité, et celle sur le parvis de Notre-Dame ne durait qu’une seule journée et servait également à l’amende honorable. En place de Grève (Hôtel de Ville) avait lieu les exécutions tout comme sur la place Maubert. C’est seulement en 1556 que la grande foire sera mise à l’abri des remparts, aux Halles, une fois l’endroit réhabilité. Ces places avaient des contours bien difficiles à concevoir aujourd’hui car elles ont été modifiées à plusieurs reprises. À chacune son histoire, évolution qui continue de nos jours.
À partir de la Renaissance, les Bourbons firent construire des places royales de prestige, symétriques, harmonieuses et bordées de maisons identiques : le lotissement de la place Dauphine par Henri IV, celui de la place des Vosges par Louis XIII, des places Vendôme et des Victoires par Louis XIV, enfin la création de la place de la Concorde par Louis XV. Chacune avait la statue de son «sponsor» au centre et celle de Louis XVI, qui n’a jamais vu le jour, aurait trouvé sa place à la Bastille, les évènements en décidèrent autrement. Les statues ont été fondues, les places renommées, mais elles restent cependant celles qui portent le mieux leur nom par leur esthétique, agréable à l’œil.
Au cours du XIXe siècle, un nombre considérable de places naissent des reconstructions de l’espace public par l’équipe d’Haussmann et son architecte Gabriel Davioud. La plupart sont filles de carrefours de circulation au profit des chevaux, des omnibus et du dégagement des monuments qui accompagnent la scénarisation de la ville. C’est ce qui rend aujourd’hui ces endroits peu confortables aux piétons, confinés entre la chaussée et le monument. Les exemples sont nombreux : place de l’Odéon, place de l’Opéra, la place Saint-Michel et sa fontaine, la place du Chatelet et ses deux théâtres déplacés des boulevards, l’étrange place Saint-Augustin, l’étroite place de la Madeleine etc. Le même constat vaut pour les gares de chemin-de-fer, avec l’exemple caricatural de la gare Saint-Lazare ou, pire, de la gare de Lyon devant lesquelles l’espace est disloqué. Les boulevards assurent la théâtralisation des monuments, la place reste accessoire.
Depuis quelques années, un nouveau modèle s’affirme, à l’exemple de l’architecture de la nouvelle place de la République. À partir de la place du château d’eau, petite enclave des boulevards historiques au milieu des théâtres, qui servait de point de rendez-vous autour d’une fontaine, le percement des boulevards avait libéré un espace constitué de trois îlots au milieu du flot circulatoire. Il fallut attendre vingt ans et la statue de la République en son centre pour qu’elle ressemble à quelque chose. Le projet récent, ouvert ce mois-ci, a retenu une vaste esplanade verte laissant sur un seul côté, presque accessoire, la voie de circulation. En rompant avec la tradition, c’est un acte qui fera date dans l’histoire de ces espaces publics qui ont vu nombre de fois leur décor et leur contour se modifier pour tenir compte de l’air du temps et de ses habitants. À qui le tour maintenant ?
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Franck Ferrand, Alexandre Gady et les places royales (Europe 1)