Il était toulousain, mais vivait à Paris, rue Junot à Montmartre. dans une maison qu’il vendra après s’être fait remercié par son producteur et avant de partir pour New-York où sa carrière repartira avec “Nougayork”. Claude Nougaro, ancien légionnaire, n’était pas un auteur engagé, mais fut suffisamment impressionné par Mai 68 pour faire cette chanson étonnante, à la fois jazzy et libertaire. Ils sont peu nombreux à oser composer sur l’actualité, peu à s’engager et encore moins nombreux à obtenir le succès avec. Ces évènements en sont un bon exemple. C’est la marque de la légende…
Le 3 mai 1968, le Quartier Latin est transformé en champ de bataille. Les CRS évacuent la Sorbonne occupée et arrêtent 400 étudiants, dont beaucoup venaient de Nanterre, provoquant une première nuit d’émeute. Le sommet des affrontements est atteint le 10 mai au soir. 20.000 Etudiants et Lycéens font face aux policiers. Les premières barricades sont formées après avoir descellé les grilles d’arbres, arraché pavés et panneaux de signalisation. Des jets de pierres et cocktails Molotov sont lancés rue Gay-Lussac par des manifestants qui s’abritent derrière les voitures du quartier qui prennent feu. L’assaut est donné aux lacrymos vers vers 2h du matin et la dernière barricade tombera à 5h30, laissant 400 blessés et des dégâts considérables. Suivra la grève générale “contre la répression” qui paralysera le pays.
Quand on lui reprochait son absence des barricades, Léo Ferré répondait que les siennes, il les bâtissait déjà depuis vingt ans. Il ne publiera ces volumes “Amour, Anarchie” que deux ans plus tard. Jean Ferrat, absent lui-aussi, publiera “au printemps, de quoi rêvais-tu” l’année suivante et surtout un “pauvres petits C…” très critique, car le parti communiste réprouvait fortement l’agitation et inventera d’ailleurs le terme “gauchistes” pour désigner les manifestants. Georges Moustaki fera un “Temps de vivre” plus peace and love que vraiment soixante-huitard en 1969.
Renaud, lui, était dans la Sorbonne occupée (avec Coluche aussi), il lancera une de ses premières chansons “Crève Salope” écrite à seize ans dans les amphis.
“ C'était ma première chanson. Une chanson qui a fait le tour des lycées, qui est devenu un hymne en 68. Je l'ai chantée à la Sorbonne et au lycée Montaigne occupé. Au premier couplet, je remets en cause l'autorité du père, ensuite du prof, du flic et du curé " Un air sur trois accords de guitare, qui ne sera même pas édité en disque et qu’il essaiera de faire oublier par la suite avec “étudiants, poils aux dents”. Quant à Gilbert Bécaud, il attendra 1980 pour exprimer sa nostalgie onirique des nuits révolutionnaires :
La rue du Bac, une barricade
Et je t'emmène chez moi
Pendant qu'on s'aimait
Des gens criaient, couraient
Une jolie Rolls brûlait
A la radio cette musique-là passait”
Nougaro seul, rendra hommage, avec d’autres noms oubliés aujourd’hui, comme Jean-Michel Caradec, aux étudiants et à la fraternité de ces journées controversées. Poésie écrite de lui-même, quelques semaines après, la musique est d’Eddy Louiss. Le morceau sera interdit d’antenne radio-tv.
Le mouvement sera éteint par l’énorme contre-manifestation du 30 mai et les accords de Grenelle entérineront la fin des hostilités légales sur laquelle rebondiront Michel Sardou avec “les Ricains” et surtout Philippe Clay avec ses “universités”.
Paris Mai par mouche45
Tout cela n’empêchera pas Nougaro d’avoir un succès énorme à l’Olympia cette année-là. Le début d’une rémanence qui montre bien que mai 68 ne fut pas vraiment un mouvement politique, ni un mouvement pour des revendications syndicales improvisées, mais un état d’esprit, une émancipation aux conséquences durables pour la suite, car pilotée par les futures élites du pays qui s’en souviendront. On n’oublie jamais vraiment sa jeunesse.
Nous sommes les gars de l’avenir
Elevés dans la souffrance
Oui, nous saurons vaincre ou mourir
Nous travaillons pour la bonne cause
Pour délivrer le genre humain
Tant pis si notre sang arrose
Les pavés sur notre chemin
Prenez garde, prenez garde
Vous, les sabreurs, les bourgeois, les gavés
V’la la jeune garde, v’la la jeune garde…