• Facebook
  • Twitter
  • Linkedin
  • RSS
  • Paris, petite anthologie du désamour d’Anne Reverseau chez Parigramme





    S’il est banal d’aimer Paris, il l’est tout autant de s’en plaindre. Si beaucoup rejoignent la ville, beaucoup s’enfuient aussi. Las des tracasseries du quotidien, du bruit, de la pollution, des transports difficiles, du coût de la vie. On découvre que ce fut le cas à toutes les époques et beaucoup d’écrivains ont témoigné de leurs frustrations ou tribulations dans la littérature. Anne Reverseau rassemble ici une petite anthologie de ces émotions. Quelques lignes souvent, mais choisies avec soin et variété, de Rabelais à Mano Solo. Chacun avec une expression propre. Un exercice talentueux sur une compilation de plaintes devenues les étapes du parcours initiatique de tout écrivain, ou de tout un chacun car qui ne s’est pas frotté à Paris au cours de sa vie ?


    Il est des griefs permanents, quelle que soit l’époque. Tout d’abord, le bruit, celui de la rue, celui des fiacres, puis des voitures, des omnibus, puis des trains, des bars, des restaurants. Celui des crieurs, vendeurs de rues a disparu pour laisser place aujourd’hui aux vociférations des fumeurs devant les bars nocturnes. Un bruit de fond issu de l’agitation et de la bousculade permanente qui fait ressembler la ville à une basse-cour. « Qui frappe l’air, bon Dieu ! De ses lugubres cris ? Est-ce donc pour veiller qu’on se couche à Paris ? » Écrivait déjà Boileau dans ses Satires.

    Souvent compagnon des complaintes, la saleté inspire des évocations épouvantables. Les visiteurs qui viennent de loin comme Mozart, Andersen ou Arthur Young sont tous unanimes à noter les « tas de boues et le pavé glissant » dont parle également Sébastien Mercier dans son Tableau de Paris en 1781. Un siècle plus tard, Hugo, George Sand, Verlaine ou Stendhal ne diront pas autre chose, mais pire. C’était avant les grands travaux et les becs à gaz, aujourd’hui qu’il y a des trottoirs, le piéton de Paris peut difficilement éviter les crottes dans les rues, les poubelles éventrées et les cigarettes et les chewingums écrasés.


    D’autres auteurs décriront la saleté en dehors et la vulgarité en dedans, chez ses habitants qui transpirent le mauvais goût. Pour une belle fille élégante qui se promène sur le boulevard, Léon Daudet voit mille chiffonniers, maquereaux, tire-laines et filles de joie. Aux exhalaisons, maladies et odeurs fétides répondent des gamins pissant aux coins des rues et une populace discourtoise, une vision qui soulève le cœur d’un Romain Rolland halluciné.

    Celui qui quitte sa verte prairie laisse ses illusions aux portes de la ville. «  A Paris, aucun sentiment ne résiste au jet des choses » (Balzac). Et encore : « Il n’y a de vrai parent que le billet de mille francs et le mont de piété ». L’attachement passe pour de la sottise et la fièvre des modes commande le quotidien. Ce qui parait naturel en d’autres lieux se mue ici en anomalie. « L’enthousiasme est vu comme une débilité et l’homme heureux ne peut qu’être idiot » note Olivier Magny dans « dessine-moi un parisien » en soulignant cette habitude de se plaindre sans cesse, pour un oui, pour un non, une chaleur humide, un froid sec etc. Paris étonne par sa tristesse, même sans la pluie. Les gens traînent, ont la migraine et le font savoir en maugréant en permanence.

    Beaucoup sont sans le sou et vivent une bohème incessante, un vrai cauchemar. Les petits vieux ne sortent jamais, les artistes vivent de boites de sardines. Georges Perec, qui vivait à Belleville, rue Vilin, nous décrit son enfance dans cet effroyable décor d’autrefois et Mano Solo, les milliers de solitudes glacées qu’il croise au détour d’un chemin perdu. « Paris, le point le plus éloigné du paradis » mais le seul endroit où il fait bon désespérer dans une chambre de dix mètres-carrés, sous les toits. L’étroitesse des locaux est un sujet qui revient en boucle chez celui qui ne peut vivre entre cour et jardin. Pour Blondin « les hommes vivent dans des tiroirs » Pour Beigbeder « le loyer y est si cher que je croyais qu’il était en Francs » .Georges Orwell vivait à Paris dans la dèche totale, dans une ruelle lépreuse et des punaises qui couraient en faisant des ‘S’ sur les murs de son logis.


    Conséquence naturelle, la promiscuité fait que chacun s’observe d’une porte à l’autre, d’une fenêtre l’autre. L’étudiant, comme le vieillard épie sa grisette, sa Suzanne et les couples voisins « claustrophobie et asphyxie sont les deux mamelles de tous les pauvres citadins dont je suis » (GF Tenas)

    Dans sa lutte quotidienne pour la survie, le parisien souffre en silence et rêve au paradis perdu de sa ville idéalisée ou de la campagne. C’est le Paris d’avant, d’avant la révolution industrielle, d’avant la Tour Eiffel honnie par Maupassant, d’avant les omnibus et le métro, d’avant n’importe quoi pourvu que ce soit avant. Du spleen de Paris de Baudelaire vers l’époque de paix, de calme et de promenade, la cité radieuse aux palais de marbre et d’or qu’imaginait Jean-Jacques avant d’y entrer par le faubourg Saint-Marcel. Dans ses confessions, il dira son dégoût et comment le temps qu’il y passa fut tout entier consacré à trouver le moyen d’en partir.


    Mais quand la ville se « gentrifie » comme on dit maintenant, qu’il n’y a plus de commerces, de gamins de Paris jouant au foot dans les rues, de concierges sur le pas de porte, quand il n’y a plus d’argot, quand les enfants et des vieux sont dans les parcs, quand Paris est devenu le « Disneyland de la culture » que décrit Benoit Duteurtre, alors « il est temps d’aller voir en banlieue ce qui s’y passe et retrouver la vraie vie » (F.Maspero). Quitter Paris est l’étape ultime, l’épreuve suprême, mais aussi le crève-cœur, le contresens.

    « Pour partir, il me faut d’excellentes raisons, onze ans que j’y suis » (S.Cillaire)

    « Ces Métropoles sont un cauchemar, mais on ne peut s’en arracher une fois qu’on s’y est habitué » (Cioran)

    On trouve donc toute la contradiction dans ce recueil d’époques variées et de quoi alimenter les réflexions sur le quotidien qui n’est pas toujours rose. L’auteur réalise une vraie prouesse dans le choix des sources et la combinaison des styles. Un inventaire romanesque à usage de ceux qui sont, un jour ou l’autre, confrontés à la ville-lumière, au mystère de Paris.


    « Avant la guerre, existait dans le quartier Saint-Paul, rue de Fourcy, le plus étonnant des lieux publics : un bordel pour clochards. Ce foutoir maintenant disparu, dont on devine l’atmosphère, était composé de deux pièces, le sénat où le tarif était uniformément de dix francs et la chambre des députés où il variait selon l’humeur et la qualité, autour de quinze. Une vieille pensait y finir ses jours de pensionnaire et retrouver ses souvenirs sur le théâtre héroïco-comique qui s’y produisait. Un vieux clodo hurlait d’une voix avinée : dix balles ? Salope ! T’auras pas vingt sous… » (JP.Clébert – Paris Insolite)