• Facebook
  • Twitter
  • Linkedin
  • RSS
  • L’Hôtel de ville de Paris a-t-il mal à son passé ?





    Une visite de l’Hôtel de ville de Paris est toujours un évènement. Elles sont gratuites et organisées régulièrement en dehors des journées du patrimoine où vous pouvez voir quelques bonus comme le bureau du Maire (155 m2 !). Une visite qui met l’accent sur les divers salons et leur superbe décoration de la fin du XIXe siècle. On en prend plein les yeux. Pour le reste, la discrétion est de mise. Motus sur une histoire étonnante, pourtant essentielle, capitale. Un silence presque suspect, si le feu des passions passées est éteint et inconnu de la plupart des générations récentes, les braises sont toujours là. Les armes de la ville de Paris, de Bleu et de Rouge dessinent une nef tranquille, mais au dessus de cette belle apparence qui coure au près du vent, c’est souvent l’orage qui pointe et aux moments calmes, succèdent d’autres beaucoup moins joyeux… elle flotte mais ne coule pas…

    Souvent, on ne comprend pas les moments dramatiques qui se sont déroulés à l’Hôtel de ville. Tout cela dépasse l’entendement. Son visage aujourd’hui est celui d’une copie néo-renaissance de l’ancienne bâtisse qui brûla en 1871, une copie républicaine, identique à l’extérieur et complètement différente à l’intérieur… de la maison du peuple de Paris qui disparut à la suite de l’incendie allumé par le peuple de Paris. Hôtel de ville de Paris détruit en 1871Rien n’a survécu, dit-on, pour faire disparaître les archives municipales de police et d’état civil. Allez-y comprendre quelque chose. Au dessus des cendres, une contribution nationale a fait pousser un palais d’ors et de cristal, de salons, de colonnes et de peintures pompeuses. A l’intérieur, les allusions à la République, aux villes et aux départements de France, particulièrement dans la salle de bal, abondent. Une décoration champêtre qui surprend le visiteur qui ne s’attend pas à tant de floraisons bucoliques. Les représentations de la ville elle-même restent très modestes, cachées, volontairement. C’est ce qu’on nomme : la punition.

    Dans cette nef travaillent aujourd’hui 5.000 personnes et 1.000 réceptions par an y ont lieu ! Le maire peut choisir d’y habiter, ou pas. Une fonction qui inspirait tellement de méfiance qu’elle fut supprimée en 1794, en 1848 puis en 1871 pour n’être reconduite qu’en 1975, plus d’un siècle plus tard. C’est que la France s’est toujours méfiée de cette fille un peu trop turbulente et de sa prévôté qui entretient souvent la rébellion de ses ouailles. La liste est longue, comme Fleuriot-Lescot qui accueillit Robespierre les bras ouverts à l’hôtel de ville en Thermidor avant de le suivre le lendemain dans sa charrette ; Odilon Barrot, qui manigança l’éviction de Charles X et constitua un gouvernement provisoire à l’Hôtel de ville ; Armand Marrast qui fut un des organisateurs des banquets qui provoqueront la révolution de 1848 et la proclamation de la République à son balcon. Quand à ceux qui s’avisent du contraire, on leur rappelle le triste sort qui fut celui de Flesselles en 1789, lors de la « grande Révolution » : la tête sur une pique.
    Hotel de Ville de Paris Hoffbauer 1583Dès 1140, un marchand de bois, Jacques Coquelet, flanqué de quelques notables se voit accordé l’établissement d’une maison de marchandises sur un monceau descendant par une grève sablonneuse vers la seine à ses risques et périls. Le roi Louis VII, leur demande d’éviter de réclamer une aide quelconque en cas de pillage ou d’émeutes. Il accorde également le droit de justice sur les employés et la juridiction de la rivière. Des droits importants accordés…. moyennant le versement d’une rente annuelle. Cette « hanse parisienne » dirigera les corporations, sera largement en charge de procéder aux travaux de la ville, pavages et embellissements, qui transformeront la ville à partir du XIIIe siècle, murailles comprises. Ainsi naquit la municipalité qui élira un représentant en chef des métiers et des marchands : le prévôt. Une institution qui allait s’avérer menaçante.

    Etienne Marcel par IdracLe premier à percevoir l’importance de la municipalité sera Etienne Marcel, le père de la maison aux piliers, sur la place de grève, ancêtre de notre Hôtel de ville, qu’il acheta de ses propres deniers. La municipalité y tint ses délibérations et il devint le centre des célébrations de la ville, souvent en honneur du souverain mais également un intercesseur bien commode pour les exaspérations, souvent causées par des histoires d’argent et de guerres perdues. Si le pilori de la place de grève montrait haut l’expression de la justice, l’endroit s’accommodait aussi bien des réparations collectives. La monarchie l’apprendra à ses dépens. Sur la façade de l’Hôtel de ville du Boccador, celui qui succéda à la maison aux piliers et brulera en 1871, se trouvait un groupe symbolique constitué de la Seine, de la Marne, de la ville de Paris mais également de la Force et de la Justice. On ne peut mieux dire.


    Dans ce passé tumultueux, il y a beaucoup de choses vues de notre Histoire. Vous n’en aurez que brièvement l’évocation dans le modeste “salon de transition” décoré des peintures de Jean-Paul Laurens et dans laquelle figure également : à dessein ? L’impressionnante collection des bordereaux signés par les présidents venant recevoir “l’hommage-lige” de la municipalité. Quelques épisodes fameux  de la conquête des libertés y sont représentés : celui de Louis VI octroyant la première charte ; celui de la répression des maillotins en 1382, châtiés pour avoir réclamé la justice fiscale ; l’interpellation d’ Anne du Bourg en 1559, pendu en place de grève pour la liberté religieuse ; l’arrestation de Broussel , exilé pour avoir défié Anne d’Autriche ; Bailly flanqué de La Fayette recevant Louis XVI peu après la prise de la Bastille en juillet 1789 et peu avant de finir guillotiné au champ-de-Mars.

    Jean Paul Laurens - Etienne Marcel coiffe Charles V du chapeau de la villeIl y a également dans cette salle un tableau représentant l’instant ou Etienne Marcel coiffe le dauphin, futur Charles V du bonnet bleu et rouge avec les « conseillers » Champagne et Normandie morts à ses pieds. Cette scène, qu’il paiera de sa vie ensuite, se reproduira presqu’à l’identique avec d’autres acteurs dont Louis XVI en 1792 aux Tuileries. Elle est généralement connue comme la première « émancipation populaire » face à « l’arbitraire royal ». Jean-Paul Laurens - Bailly reçoit Louis XVI à l'Hotel de ville de ParisPlus précisément, on retrouve à chaque fois des guerres perdues, couteuses et des dettes perpétuelles qui ne pouvaient être comblées que par l’impôt prélevé sur le tiers-état, c'est-à-dire les villes, et particulièrement Paris, qui prit régulièrement la tête de la fronde. La statue d’Etienne Marcel est justement visible à l’extérieur de l’hôtel de ville, en tant que précurseur de ce qui suivit.

    Jeanne d’Arc, qui a aujourd’hui plusieurs statues en son honneur à Paris y sera grièvement blessée en 1429 alors qu’elle tentait de prendre la porte Saint-Honoré et d’y ramener le Roi Charles VII quand la ville avait choisi les Anglais et les Bourguignons contre les Valois, un choix qu’elle paiera au prix fort par une longue guerre civile plus ruineuse encore que les folles dépenses de cette famille. Procession de la Ligue dans Paris en 1590En 1588, c’est un autre Valois, Henri III, qui devra fuir sa capitale à la suite de la journée des barricades où le peuple de Paris se révolte et se range derrière le duc de Guise pour ne pas voir un béarnais, fils d’une hérétique devenir l’héritier du royaume. Ce n’est qu’en abjurant la religion réformée qu’ Henri IV parviendra à entrer dans sa ville : « Paris vaut bien une messe ». Et la litanie continue : dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649, Anne d'Autriche, Mazarin et Louis XIV enfant s’enfuient de la capitale devant le grondement des bourgeois, las des augmentations d’impôts, des promesses non tenues, de la guerre qui s’éternise et qui ruine les finances. Ils sont conduits par un authentique parisien, Armand de Conti, frère du Grand Condé mais également Gondi, cardinal de Retz et bien sûr le prévôt des marchands. Le futur Roi Soleil n’oubliera jamais cette humiliation et ne viendra que rarement à Paris, faisant construire une autre capitale à Versailles.

    en 1792, l’hôtel de ville a bien sûr toujours été du côté des plus acharnés défenseurs de « la liberté » contre « l’oppression », Robespierre agonise à l'Hôtel de ville par L-E Melinguetraduisez : de ceux qui paient l’impôt contre ceux qui le perçoivent et c’est l’endroit où Robespierre est venu se réfugier, espérant y lever les sections pour soutenir sa dictature. Ce qui aurait très bien pu se produire s’il s’était trouvé un Bonaparte à la place d’Hanriot ce jour là. D’ailleurs le 18 brumaire, quand sonne la fin de la partie, Paris reste calme et la vie y continue comme à l'ordinaire.

    Les Bonaparte, justement, n’auront pas la naïveté de leurs prédécesseurs et couvriront la ville d’hommes dociles avec des moyens dissuasifs couplés à une police solide et peu scrupuleuse : les préfets, dont certains resteront célèbres : Rémusat, Pasquier, Lépine, Rambuteau et bien sûr Haussmann qui avait pris logiquement son bureau à l’Hôtel de ville. La nouvelle dynastie corse sera attentive et prévenante envers la ville redevenue capitale d’un Empire et le bourgeois parisien est fier de célébrer à l’Hôtel de ville la proclamation de l’Empire, le mariage avec Marie-Louise ou la naissance du roi de Rome. De célébrations pompeuses en bals grandioses, l’empereur décorera sa capitale et un projet de construction de palais impérial est même prévu sur la colline de Chaillot. Horace Vernet : Mortier à La Barrière de Clichy en 1814Mais, le 30 mars 1814, après la déroute, Napoléon est absent de l’héroïque défense de Paris que mènent Mortier à la barrière de Clichy, Daumesnil à Vincennes, Marmont à Pantin car il n’a qu’une idée en tête : comment récupérer son argent des coffres des Tuileries et le lendemain, les quatorze magistrats municipaux parisiens qui ont autrefois tant fêté, adulé le héros victorieux, prononcent sa déchéance.

    «  …Il n’est pas un d’entre nous qui, dans le secret de son cœur, ne le déteste comme un ennemi public ; pas un qui, dans ses plus intimes communications, n’ait formé le vœu de voir arriver un terme à tant d’inutiles cruautés… »

    Qu’ils semblent alors bien loin les feux d’artifice tirés au Louvre ou place de la Concorde ! Il est vrai qu’il y a 700.000 hommes aux portes de la ville et la frayeur immense de voir l’Europe coalisée faire à Paris ce que les armées françaises et Denon avaient fait à Milan, Rome, Venise, Berlin, Madrid ou Moscou. Finalement, cela se passa plutôt bien et le pillage fut évité de justesse et même le pont d’Iéna resta débout.

    C’est à nouveau la défaite militaire d’un Bonaparte, à Sedan en 1870 et la restitution des canons de Montmartre, que les parisiens avaient payés de leurs propres deniers pour défendre la ville, qui déclencha l’étincelle en mars 1871 et la proclamation de “la commune insurrectionnelle” avec des conséquences tragiques pour ses bâtiments et sa population, car cette fois une partie de la population mobilisée périra ou sera déportée, la garde nationale sera supprimée et l’Hôtel de ville partira en fumée. La punition fut sévère et la ville ne retrouvera son maire qu’avec des pouvoirs de police limités aux amendes de stationnement et à la sécurité des marchés et des jardins, chose unique en France !

    L’endroit que vous voyez aujourd’hui, d’une froideur abyssale, incommode d’accès, cette place battue par les vents et écrasée par une copie de façade Renaissance n’à rien à voir avec ce qu’elle fut autrefois quand les commerçants en firent leur foyer. Salon de l'Hôtel de ville de ParisLes maisons voisines ont été rasées, les accès sont bouclés et gardés, le port a disparu et tout le monde plaisante lorsque le guide de visite en parle comme « la maison du peuple » , quand aux cris de Paris, ce sont maintenant ceux des enfants de la crèche indoor. On a du mal à imaginer cet endroit comme le cœur battant de la ville, s’il n’y avait à proximité la frénésie des passants de la rue de Rivoli et la queue devant les expositions gratuites de la salle Saint-Jean. Votre guide vous le dira : c’est un endroit administratif. C’est surtout celui d’une punition, L’hôtel de ville a mal à son passé.

    L’inauguration du nouvel édifice, celui que vous devez absolument visiter aujourd’hui, eut lieu le 13 Juillet 1882, il s’accompagna d’un banquet prestigieux au cours duquel le président de la République d’alors, l’avocat jurassien Jules Grévy, verre de Champagne à la main eut ces mots : « Je porte un toast à Paris ! Paris, qui a pris une si brillante part à l’épanouissement de la civilisation française ! » 

    On dit qu’un ange passa…



    Visite guidée de l'hôtel de Ville de Paris - Gratuit voir sur paris.fr