Le Grand Monde de Marcel Proust au musée Maxim’s
Pierre-André Hélène a conçu cette exposition en hommage aux personnages de la comédie mondaine. Touchante reconstitution au sein des collections Art Nouveau de Pierre Cardin, une centaine de photos, quelques souvenirs, portraits, trois robes et beaucoup de passion. Car il faut dire que ce sont ces mêmes figures qui hantent les lieux. Beaucoup d’entre-elles ont été des clients du café de la rue Royale et l’auteur de la Recherche lui-même, le fut. Dans ces salons luxueux et presque surannés, la coterie 1900 s’est donné rendez-vous sur daguerréotype…
La visite débute naturellement par le personnage mythique de la Recherche : Oriane de Guermantes et l’évocation de celles qui ont pu inspirer cette individualité hautaine, à qui le narrateur vouait un amour platonique et néanmoins sincère, en dépit de ce que cette aristocratie de l’esprit peut avoir d’humiliant : D’abord, la comtesse Elizabeth Greffulhe (prononcez greffeuille ) reine du périmètre Saint Germain- Concorde- Madeleine- Monceau dans lequel se déroule l’essentiel du roman et qui, cruellement, éclipse ses dauphines pourtant distinguées, cultivées, richissimes et qui portaient une robe par jour : la comtesse Laure de Chevigné, Madame Standish, qui descendait des Noailles et des Rohan, Geneviève Halévy ainsi que la princesse Potocka “qui son potocki plaqua”. C’était avant la guerre et surtout avant l’invention de l’impôt sur le revenu.
Proust, pourtant distingué, mais d’un autre monde, n’aurait jamais été reçu dans leurs salons s’il n’avait eu la chance d’être invité à l’anniversaire de son ami Jacques Bizet, avec lequel il fréquentait le lycée Condorcet. La mère du jeune homme, Geneviève Halévy le trouva charmant et si bien élevé. Elle était la fille de l’auteur de « La Juive » un opéra célébrissime de l’époque et surtout héritière des droits d’auteur de son mari, élève préféré de son père et auteur de Carmen : Georges Bizet. Geneviève Halévy tenait salon au 134 Boulevard Haussmann, à l’angle de l’avenue de Messine puis ensuite rue de Miromesnil. Pas très loin, se tenait celui de Laure de Chevigné, au 34 rue de Miromesnil. La fantasque princesse polonaise Potocka demeurait avenue de Friedland tandis que la comtesse Elisabeth siégeait à l’Hôtel Greffulhe au 8 rue d'Astorg qui a disparu. Profondément légitimiste, c’est dans son salon que se retrouvaient de nombreuses célébrités du monde de l’Art, mais aussi les partisans de Dreyfus et c’est le lieu où naquit la pétition pour la révision.
Une revue mondaine qui se poursuit dans la pièce voisine par le souvenir d’Odette de Crécy, madame Swann dans l’ouvrage. Elle incarne la demi-mondaine et toutes celles pour qui l’ascension sociale passait par la chasse à l’homme. Autant dire, beaucoup de femmes, puisque l’époque ne leur en offrait guère de choix, pas même celui d’ouvrir un compte en banque sans une couverture. De la dot du père aux subsides du mari, l’affaire était toutefois beaucoup moins amusante que les générosités de l’amant ou du protecteur, le cœur ou la tête ont toujours eu leur mot à dire. Ainsi, « la fortune vient en dormant, mais surtout pas seule » disait la belle Otéro. Pour la Recherche, Proust n’avait que l’embarras du choix. Le musée Maxim’s a retenu les portraits d’artistes chevronnées dans ce rôle, comme Louisa de Mornand, Laure Heyman, la danseuse russe ida Rubinstein. Chaque portrait qui mérite sans doute à lui seul son roman et une combinaison qui donne à la « dame en rose » cet aspect mystérieux de bourgeoise parvenue faite d’absence d’éducation ou de distinction, mais profondément romanesque. Logiquement, Mme Swann se tenait à l’écart du faubourg, sa demeure était dans l’anti Saint-Germain, ce quartier du bois de Boulogne qui est devenu notre avenue Foch dans le XVIe arrondissement. L’avenue la plus large de Paris, de la bourgeoisie affairiste, des hôtels particuliers imposants avec décoration intérieure de mauvais goût dont l’hôtel de la Païva, sur les Champs Elysées, nous donne aujourd’hui une vague idée.
Reste Madame Verdurin et ses yeux de poule. Les Verdurin habitent d’abord rue Montalivet, dans le VIIIe arrondissement, c’est là que naîtra le clan pittoresque. À la fin du siècle, ils seront installés en plein faubourg, sur le Quai de Conti, devenus une véritable institution culturelle et la maitresse de maison une sorte de fée découvreuse de talents. C’est dans son salon, d’ailleurs, que Marcel rencontre la comtesse Greffulhe. Dans ce jeu du qui-est-qui que propose l’exposition, Mme Verdurin est Madeleine Lemaire, qui vivait rue de Monceau et fut le pygmalion de nombreux artistes. Autour, on découvre les visages des ridicules, des rivales qui se piquaient à convoiter le rôle : Marguerite de Saint-Marceaux, « le serpent à sonates » dans son hôtel du 100 boulevard Malesherbes, Madame Aubernon et son salon des futurs académiciens : des patronnes cultivées, véritablement portées vers l’Art, mais surtout vers les médisances, l’ambition politique et mondaine.
Charlotte Saint-André y figure également, c’était l’épouse d’Antonio de la Gandara, le grand peintre du grand monde, qu’appréciait particulièrement la comtesse Greffulhe et auteur de nombreux portraits. Les hommes tiennent également une place importante, mais la dernière. L’élégant Charlus est représenté par Montesquiou, Léon Radziwill et le prince de Sagan.Charles Swann par Boni de Castellane et Saint-Loup par Charles Haas, l’amant de Sarah Bernhardt. Tous sont au Jockey Club, le club le plus sélectif de l’époque, on y entrait par la naissance, loin devant les nombreuses copies qui ont vu le jour ensuite. Une attention particulière est portée à Bergotte, l’écrivain original bien qu’hypocrite, mélange de Paul Hervieu, d’Anatole France, qui vivaient au crochet des dames, voire proche, par instant, de Flaubert.
Enfin, pour clore ce bal, figure une évocation du grand hôtel de Balbec qui présente, bien sûr, le grand hôtel de Cabourg où on peut visiter aujourd’hui la chambre de Marcel Proust. Mais, plus original, l’exposition avance que l’hôtel splendide d’Evian-Chablais et celui des Roches Noires à Trouville ont bien pu également remplir l’album de souvenirs. Rien n’est certain à ce sujet : une singularité. Il ne fait pourtant pas de doute que cette reconstitution chez Maxim’s mérite une distinction et que les voyageurs de cet après-midi au milieu du bottin proustien resteront charmés par la poésie encyclopédique de son narrateur. Bien réel, là, pour le compte. Quant à Albertine, elle a disparu.
14 novembre au
14 avril 2013. 3 rue Royale 75008 Paris 8e. Tous les jours (sauf lundi, mar) visite guidée : 14h, 15h15 et 16h30 Entrée 15€, Tarif réduit 10€, gratuit - 18 ans http://www.maxims-de-paris.com/
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