Il fut un temps où le monde était encore obscur et inconnu, où la frontière entre la superstition et la raison n’était pas clairement établie, un temps où la science et la foi étaient encore indistinctement liées. À cette époque, la nature gardait beaucoup de ses mystères et l’homme naviguait dans l’inconnu à la recherche de la route des Indes. Les portulans nous sont parvenus comme un témoignage de ce passé. Dès que le cabotage n’était plus possible, ces curieuses images restaient le seul moyen de ne pas se perdre sur l’immensité des océans. Elles sont l’image d’une culture où le mythe et le réel se confondent. Cet âge de légendes et d’exploits, c’est l’âge des découvertes. Une histoire extraordinaire que nous raconte Jean-Yves Sarazin dans cette exposition…
L’état d’esprit de ce qu’on nomme aussi “l’entreprise des Indes” échappe encore de nos jours à la compréhension de l’homme moderne. L’univers est gravé comme un mélange de monstres fantastiques et de géométrie, il est peuplé de légendes fantastiques et de lignes de rhumbs permettant de tracer un cap. Les cartes sont parsemées de roses des vents, si on les suit à la boussole, invention lumineuse, on peut localiser des mythes : le royaume du prêtre Jean, l’Eldorado ou encore la légendaire fontaine de Jouvence. À bord, c’est pourtant le Portulan qui permet de se rassurer, mais les cartes sont souvent fausses ; des outils sommaires permettent de calculer la latitude au compas, mais il faut souvent le faire au sol en raison du tangage du bateau ; la voute céleste fournit des indications pour les astrolabes, les noctulabes quand elle n’est pas obscurcie très souvent par les nuages. Sur certaines cartes, des points cerclés démontrent leur usage à bord, mais fréquemment dans l’imprécision la plus totale, ce qui laisse en définitive le dernier mot à l’expérience du marin, la foi ou la superstition. Au cours des orages, Christophe Colomb lisait la bible à haute voix : “Ne craignez-rien, ce n’est que moi”
Ces cartes et ces instruments étaient loin d’être suffisants devant la mer terrifiante, la brume ou les écueils certains. Tous, comme Magellan dans le Pacifique sous-estimaient gravement les distances et étaient incapables de calculer les longitudes. Les livres étaient faux et beaucoup ne savaient même pas les utiliser. Lorsque Colomb arriva aux Antilles, il crût avoir atteint la Chine et s’attendit à rencontrer le grand Khan ; quand il aborda au Venezuela lors de son troisième voyage, il pensait avoir trouvé le Paradis Terrestre. L’homme de la Renaissance conserve logiquement la conscience de l’homme du Moyen Age : L’Asie est le pays des rois mages et l’Afrique celui des mines du roi Salomon.
“Il serait souhaitable que tout les marins renoncent à l’emploi de ces cartes fausses et trompeuses et utilisent des projections de Mercator, qui seules répondent à la vérité”
Manuel de navigation 1646
La Caravelle est bien un bateau merveilleux, si extraordinaire que les Indiens croyaient qu’elle enfantait les Espagnols comme une poule en les voyant sortir armés et casqués sur le rivage puis revenir téter lorsque les canaux s’alignaient le long du bateau. Très efficace en mer et au près du vent, mais ce vent qui portait les Vasco de Gama, Francis Drake et Jacques Cartier avait une odeur d’épices et une couleur d’Or.
La mer sera d’abord portugaise, grâce à Henri “le Navigateur” puis espagnole avec Colomb, son génois “Amiral de la mer Océane”. Ils se partageront ensemble le monde avec l’aval du Pape par le traité de Tordesillas (1494) dont on voit un fac-similé dans l’exposition. Cependant, tout le monde souhaitait sa part du gâteau inconnu. Comme le fit justement remarquer François Ier, il ne voyait aucun passage dans le testament d’Adam qui l’eut exclu du festin : les Français prirent donc la mer, mais également les commerçants hollandais de la VOC d’Amsterdam (Verenigde Oostindische Compagnie) et enfin les corsaires Anglais d’Elizabeth Ière.
Plusieurs siècles seront nécessaires pendant lesquels les hommes jugeront l’approche des côtes par leur intuition et de maigres indices comme les débris flottants, les herbes et les poissons. Ce ne fut que très tard qu’on parvint à mesurer la longitude avec précision et les hommes de Magellan l’avaient bien remarqué : ils avaient fait le tour du monde avec un jour de retard. L’horloge marine et la précision du calcul du temps étaient une frontière technique qui devait assurer la domination des mers. Auparavant, le sablier peu pratique et peu précis était indispensable. L’invention sera anglaise grâce à John Harrison, son inventeur solitaire, en 1734.
De cette extraordinaire collection de cartes que nous avons la chance de posséder grâce au géographe Edme François Jomard (1777-1862) ressortent des éléments rebelles, des royaumes imaginaires, des continents déchirés ou introuvables qui ne seront vraiment éclairés qu’au XIXe siècle : C’est le cas de l’Australie ou même au XXe siècle si on inclut l’Arctique, qui est une mer contrairement à son vis-à-vis du Pôle Sud.
Dans l’esprit caractéristique de l’époque, fait de mythes et de mathématiques, on a longtemps cru qu’un continent imposant était nécessaire pour contrebalancer le poids des terres émergées du Nord. Ce continent : la “terra australis incognita”, personne ne l’avait jamais vu, ni trouvé et l’Australie lui doit son nom. De même, on a longtemps pensé pouvoir trouver au Nord de l’Amérique un passage identique à celui de Magellan au Sud : le fameux passage du nord-Ouest. Là encore, l’échec fut au rendez-vous, tout comme de nombreux drames épiques au milieu des glaces.
L’âge des découvertes est une période hors du commun où l’importance de la technique n’a d’égale que celle de la foi et celui de l’acharnement de ses héros. Malgré leur imagination, bien visible sur ces cartes, la géographie fût bien plus surprenante que ce qu’ils pouvaient supposer et le résultat très différent de ce qu’ils étaient venus chercher. Le plus étonnant et même tragique dans cette histoire, reste que ce chemin, tant recherché depuis le XVe siècle, vers les moluques, ces fameuses îles aux épices, Vasco de Gama l’avait trouvé dès 1497. Mais à l’époque, personne ne pouvait le deviner.