C’est par -25 °C que la horde dépenaillée commandée par Joaquim Murat arriva enfin vers le 12 décembre à Kovno. Le froid est terrible et malgré l’arrivée en terre amie, au milieu des populations polonaises et lituaniennes, des milliers de soldats périrent dans les derniers kilomètres de cette marche de la mort. Lorsque le général Griois y pénètre, il n’y trouve que le spectacle hallucinant des maisons éventrées, des débris les plus grotesques éparpillés dans les rues. Les grenadiers de la Vieille Garde ont été les premiers à atteindre ce havre… ils se sont empressés, même ces glorieux soldats, de se jeter sur la nourriture des stocks de vivres et surtout sur l’alcool. Ivres, repus, ils ne sont plus en mesure au vu de la faiblesse physique de beaucoup d’entre eux de supporter ce festin. Non loin de la ville se trouve un pont sur le Niémen, il signifie presque la fin du cauchemar, et malgré que les eaux du fleuve soient depuis longtemps prises par les glaces, les hommes hagards s’agglutinent devant le pont…
Le 13 décembre, les Russes arrivent, les Cosaques notamment. Ils souffrent également du froid et de la faim, mais la victoire donne des ailes aux vainqueurs. Le combat a lieu le 14 décembre 1812 avec l’arrière-garde française, alors que Ney ne comptait plus qu’une trentaine de fidèles autour de lui, Bavarois, Wurtembergeois et Français. S’emparant d’un fusil, il montre l’exemple et fait le coup de feu contre les Cosaques. Ils sont hors de portée et ont avec eux quelques canons montés sur traineau, le combat est inégal. Pour donner du temps aux débris qui quittent la Russie, Ney combat toute la journée en défendant la porte dite de Vilna. Au soir, abandonné des derniers fidèles, il quitte la position et traverse seul le pont du Niémen. Il n’y avait plus que des morts et des prisonniers derrière lui. Il fut le dernier Français à quitter la terre russe.
Les Russes, épuisés et décimés, n’avaient pas poussés plus en avant, à peine étaient-ils entrés en terre polonaise…La campagne de Russie se terminait donc, en ce 14 décembre.
Griois raconte : « Le 16, je me remis en route de grand matin, le froid avait redoublé de force, et malgré le foin dont le traîneau était garni et les lambeaux de fourrure dont j’étais enveloppé, j’avais le visage glacé et je ne sentais plus mes membre engourdis. Une forte brise du nord, chargée de glaçons, me déchirait la poitrine, et je croyais réellement que je n’y résisterais pas […] Bientôt nous entrâmes à Stallupönen, bourg prussien sur l’extrême frontière, et je descendis de mon traîneau à la porte d’une espère de petite auberge d’assez mauvaise apparence. Mais j’entrai dans une salle bien chaude et une odeur agréable de café, les jattes de lait, le beurre, les œufs que j’aperçus sur les tables me causèrent une vive sensation de joie et de surprise. Un coin de table était libre, vite je m’en emparai avec mon lieutenant et quelques minutes après, je fis avec une jatte de café au lait, d’excellent beurre et du pain, à discrétion, le déjeuner le plus savoureux de ma vie ! […] J’examinai ensuite les groupes nombreux qui entouraient chaque table, quel singulier tableau ! Des militaires, des employés, des femmes affublées des plus grotesques vêtements remplissaient la salle. Un air de jubilation, une espère d’enivrement se peignaient sur leurs visages maigres et décharnés, dont une crasse épaisse déguisait la pâleur » Après Kovno, le maréchal Murat étale ses griefs contre le frère de Caroline, le désigne comme responsable et lance des récriminations. Il décide d’abandonner l’armée à son tour, il veut rentrer à Naples… et garder sa couronne ! N’ayant plus de commandant, c’est finalement au non moins héroïque Eugène de Beauharnais, le fils de Joséphine, que revînt la tâche ingrate de commander les restes malades et décharnés de la Grande Armée défunte. Ils sont 40.000 encore, peut-être un peu plus mais beaucoup vont mourir dans les asiles misérables de Königsberg et d’autres villes de la région. Les survivants sont dévorés par la vermine, poux, puces, gale. Le spectacle incroyable de ses débris humains, d’hommes emmitouflés dans des robes ou des fourrures de femmes, ayant les jambes emmaillotées dans des chiffons achèvent de détruire l’image de la glorieuse armée de Napoléon. Les vainqueurs de Iéna, haïs des Allemands et des Prussiens n’étaient plus que des épaves humaines, grotesque spectacle. Ce qui restait d’eux, s’étalaient dans les rues, les cafés, ou les survivants purent dépenser leur butin, pour s’empiffrer et s’enivrer.
La campagne de Russie était terminée… mais pas la guerre. En soixante jours le prince Eugène fait une retraite magnifique échappant à l'encerclement prussien et russe et fait la jonction avec la nouvelle armée des conscrits livrée par l'Empereur. Cette campagne de 50 jours, depuis Posnau jusqu'à Leipzig, est peut-être l'épisode le plus étonnant de l'expédition de Russie, et tous les militaires s'accordent à le regarder comme un chef-d'œuvre de stratégie qui, seul, place le prince Eugène au rang des plus grands généraux. Le prince arrive à Leipzig le 9 mars 1813, et son armée, grossie pendant la marche, compte alors 50.000 hommes, avec lesquels il peut tenir la ligne de l'Elbe, menacée par 150.000 alliés. Napoléon croyait avoir sauvé l’essentiel de son empire. En janvier 1813, il lève par avance la classe 14, les exemptés et les remplaçants qui avaient payé leur substitution. Mais on ne remplace pas comme ça des troupes aguerries et des soldats de valeur. Il n’a presque plus de cavalerie, entièrement disparue en Russie. L’illusion durera 6 mois, jusqu’à la bataille de Leipzig en Octobre de la même année (ou mourra Poniatowski qui avait reçu son bâton de maréchal la veille) et la longue agonie de l’Empire ne se terminera vraiment qu’avec l’entrée d’Alexandre Ier et des prussiens dans Paris le 31 mars 1814.
Source : Laurent Brayard http://french.ruvr.ru/2012_06_24/Campagne-de-Russie-1812-histoire/ La Voix de la Russie Голос Россииhttp://french.ruvr.ru/2012_07_15/campagne-1812/