A l’approche du mois d’octobre, Napoléon ayant déjà perdu beaucoup de temps dans les décombres de Moscou prend conscience du piège que représente une plus longue attente dans la capitale historique russe. L’Empereur veut la paix ! Le 4 octobre 1812, il envoie un plénipotentiaire, ce sera le général Lauriston. Le pauvre Lauriston essuie les refus successifs du vieux Koutouzov qui, habile, reçoit les Français avec beaucoup de tapage : fanfares, feux de bivouac allumés en grand nombre, chants, uniformes de parades, tout a été fait pour impressionner. La rencontre fut expéditive, un petit quart d’heure, dans une modeste izba non loin des avant-postes de l’avant-garde du Prince Joaquim Murat, sur la route de Kalouga. La paix, les Russes ne voulaient pas la signer, du moins tant que les Français ne seraient pas sortis du territoire russe…
Dès le 6 octobre, il pense toutefois à évacuer des blessés, il donne l’ordre de rafler dans la région le plus grand nombre de charrettes et de voitures et forme le 9 un premier convoi de 1.500 blessés qui prend le chemin du retour sous la conduite de Nansouty. La veille, l’Empereur avait ordonné à ses généraux de stocker six mois de choux, une ressource nutritive importante que les témoins de l’époque indiquaient en abondance à Moscou, ainsi que trois mois de pommes de terre, deux mois de farine et un mois de biscuits secs. Il donnait également l’ordre de fortifier les positions formées par les couvents qui cernaient la ville de Moscou et pouvaient servir d’autant de points d’appuis défensifs. Le 12 octobre, le Prince Murat lui indiquait que les montures de cavalerie étaient en manque de fourrages, et que les nuages s’amoncelaient au-dessus de la tête des Français. De la part de son maréchal le plus insouciant et le moins attentif au confort de ses soldats, cela reste révélateur d’une situation tendue et grave. Malgré les assertions de Napoléon quant à la faiblesse de Koutouzov et aux difficultés des Russes de retirer d’importantes forces des armées du Sud qui faisaient face à l’Empire Ottoman, les renforts russes affluaient, chaque jour le danger augmentait un peu plus et comment empêcher le soldat de se demander ce qu’il était venu faire aussi loin, et ce qu’il allait advenir ? Le Général Griois écrit alors que son corps d’armée campe à Winkowo à l’avant-garde devant Moscou :
« L’ennemi nous laissait tranquilles dans nos bivouacs, mais si l’on s’en éloignait à droite ou à gauche, on rencontrait des partis de Cosaques auxquels se joignaient les paysans. Nos fourrageurs devaient aller à trois ou quatre lieues pour rapporter un peu de paille battue ou même un peu de la paille à demi pourrie qui recouvraient les toits, ou bien encore un peu de seigle que les soldats broyaient grossièrement pour leur nourriture au moyen d’une petit meule à manche de bois dont les paysans russes se servaient pour le même usage. Beaucoup furent tués ou pris, et ces pertes se renouvelaient chaque jour, bien qu’on eût soin plus tard de les escorter par de nombreux détachements. La discipline était tellement perdue qu’on négligeait depuis longtemps toutes ces précautions auxquelles ont dut revenir quoique avec peu de succès. Malgré tous les dangers, il fallait bien, sous peine de mourir de faim, s’éloigner pour chercher quelque nourriture, puisque à deux lieues à la ronde on n’aurait pas trouvé un brin de paille, que soit difficulté des transports, soit insouciance des administrations, nous ne recevions rien, absolument rien de Moscou, où nos camarades avaient de tout en abondance, où ils logeaient dans de magnifiques palais, mangeaient des mets succulents, buvaient les meilleurs vins, pendant que nous n’avions pour nous soutenir qu’une bouillie grossière, des galettes de seigles cuites sous la cendre et de l’eau trouble et marécageuse »
A Moscou, Napoléon tergiverse longuement. Attaquer Saint-Pétersbourg où se trouve Alexandre ? Ecraser Koutouzov au Sud ? Attendre et prendre ses quartiers d’hiver à Moscou ? Se replier vers Smolensk ? Il hésite, espérant secrètement obtenir une paix des Russes, et multipliant les ambassades sans succès. Koutousov avait trouvé refuge à Kalouga où se trouvait une manufacture d’armes. Ne disposant plus que de 60.000 hommes, dont 8 à 9.000 paysans-miliciens, il gardait toutefois la main sur une bonne cavalerie légère, environ 15.000 hommes dont la moitié de cosaques. Il reçu l’appoint d’autres miliciens, qui eurent le temps d’être habillés, et partiellement équipés quand ils formaient à l’origine les derniers rangs des bataillons de ligne, armés de piques et de haches, mais beaucoup, au mois d’octobre, avaient reçu un fusil et l’instruction nécessaire. 15.000 cosaques vinrent également en renfort ce qui constituait une force d’environ 80 à 100.000 hommes.
Le 17 octobre, Koutouzov, de manière hardie, ce qui était contre sa nature, avait passé la Nara sur sa rive gauche pour attaquer par surprise avec une nuée de cosaques les 26.000 hommes de l’avant-garde de Murat qui se trouvait en observation autour de Winkovo avec les corps de Sébastiani, de Saint-Germain, de Nansouty, de Latour-Maubourg, et les Polonais de Poniatowski et de Claparède.
Les Français laissaient sur le terrain environ 2.000 morts et blessés, 1.000 prisonniers, et 38 canons, les Russes n’avaient perdu qu’environ 1.200 hommes. A peu de frais, Koutouzov obtenait donc un succès, certes incomplet mais c’était une belle victoire, la première depuis le début de l’invasion. Moralement, l’armée russe et ses jeunes recrues devaient sortir enthousiastes de ce combat. A Moscou, l’annonce de la défaite de Murat plongea Napoléon dans la consternation. Koutouzov qu’il pensait en train de végéter, était déjà remis sur pied, et les rapports de cette bataille ne laissaient aucun doute : son armée était au moins égale en force à la sienne. D’un seul coup, l’idée que les troupes Russes des frontières du Sud puissent remonter lui couper la retraite et l’enfermer dans le piège de la capitale historique russe lui effleura l’esprit. La neige était tombée pour la première fois le 13 octobre, une date très précoce, même pour la Russie. Il n’avait pas reçu de propositions de paix, et comprenait enfin combien son attente avait permis à Koutouzov de se préparer et le piège mortel qui se préparait. Il ordonnait la retraite, le jour même, par la route de Kalouga.
Source : Laurent Brayard http://french.ruvr.ru/2012_06_24/Campagne-de-Russie-1812-histoire/ La Voix de la Russie Голос России http://french.ruvr.ru/2012_07_15/campagne-1812/