“Gaulois” à la Cité des Sciences : une expo renversante ?
La Gaule est une invention de Jules César. Mais les historiens du XIXe siècle ont fait au moins autant que le romain pour la légende, pour toutes les légendes, puisées chez Strabon, chez Lucain, chez Diodore de Sicile, chez Posidionos qui parlaient de Celtes. Celtes ou Gaulois ? On ne sait trop. C’est un des mystères qui entoure cette civilisation. Un exemple d’une ignorance beaucoup plus vaste que celle qui entoure les Égyptiens ou les Mésopotamiens, pourtant bien plus anciens. De cette époque où Alexandre colonisait l’Asie et quand Rome détruisait Carthage, il ne nous reste des Celtes que les mystères inaccessibles d’une civilisation qui n’a laissé presque aucun écrit, chez qui tout se transmettait oralement...
En dehors des témoignages de ces voyageurs romains ou grecs, nous n’avions, jusqu’à une période récente, que des indices fournis par la linguistique ou les légendes irlandaises. L’archéologie a apporté énormément de choses depuis. L’exposition rend justement hommage à ce travail où les découvertes récentes sont présentées sous forme ludique à l’exposition, comme celles de Tintignac, en Corrèze.
On distingue maintenant une vaste civilisation qui débordait largement du cadre hexagonal “gaulois” puisqu’elle s’étendait des rives de l’Atlantique jusqu’à la mer Noire. Aujourd’hui, rien ne permet vraiment de dissocier un joailler de La Tène d’un forgeron d’Hallstatt, le Galate mourant du bouvier de Tintignac, une princesse de Vix d’une semeuse irlandaise.
Ne vous laissez pas dissuader par l’endroit, il est vrai particulièrement difficile d’accès de la cité des sciences à la porte de la Villette. Quand, au milieu des travaux du tramway nord, vous aurez réussi à trouver le parking, patienté dans les files d’attente et avalé les escalators pour arriver au bon endroit de cet immense édifice, vous ne le regretterez pas. Cette exposition remarquable fait le point sur nos connaissances, d’un point de vue scientifique et avant d’accéder à la salle des pièces retrouvées à Tintignac (avec quelques pièces rapportées comme une copie du fameux chaudron de Gundestrup) se trouve une reconstitution d’un terrain de fouilles original, avec la simulation du mur d’oppidum de Pons en Charente.
Une carte fait le point sur les sites européens actuellement connus : Mont Auxois, Mont Beuvray, Issolud, Besançon, Vouziers, Titelberg, etc. On prend la mesure de ce réseau européen de forteresses, oppidums défensifs, mais aussi probablement villes ou lieux d’échange. Un cadre toujours mystérieux, car on n’en connait pratiquement rien. Un film assez caricatural mais amusant essaie de nous faire revivre la vie dans un oppidum.
L’exposition vise à rétablir une image du gaulois plus proche de ces découvertes que de l’Astérix de la bande dessinée ou du Vercingétorix du bellum gallicum : oubliés les casques à ailes, les moustaches et la Gaule chevelue. Ces ailes qui figurent aussi sur les fameuses cigarettes « Gauloises » disparaissent au profit d’un bien banal casque avec des protège-joues et on apprend que la chevelure fait allusion à l’importance des forêts. Oubliés aussi le festin de sangliers et la cervoise à volonté : Le gaulois mange du porc à poil long, du mouton à corne, du bœuf, du chien mais très peu de sangliers et boit énormément de vin. Et le coq gaulois semble être un mythe... l’animal le plus symbolique, c’est le sanglier ou le cheval. (faites le quizz)
En fait, il nous manque encore bien trop de pièces pour identifier le puzzle dans son ensemble. Et non des moindres.
D’abord, sur la religion : les dieux gaulois Teutatès, Esus, Taranis, Cernunnos sont très mystérieux. Le panthéon celtique est largement incompatible avec celui de Rome. Le celte avait une religion centrée sur la nature, avec un rôle important confié au druide, véritable chef, sans équivalent dans la religion romaine, au pouvoir redouté par les Romains eux-mêmes. Druide signifie “très savant”. Les dieux vivaient dans les forêts, lieux hostiles aux humains par définition et la question de la réalité de sacrifices humains reste posée. Le rôle et le pouvoir druidique semblaient considérables si l’on en croit les auteurs latins : religieux, mais aussi juridique, éducatif, ils excitaient les hommes au combat et les déchargeaient de la peur de la mort en évoquant un au-delà bien meilleur que nos contrées froides et humides : le paradis Celte. Pour eux, rien n’était plus précieux que les têtes coupées de leurs adversaires.
Il faut pouvoir imaginer la frayeur ressentie par le légionnaire romain à la vue de ces hordes d’hommes nus richement parés de torques et bracelets en or qui constituaient l’avant-garde celte (gaesatae), grisés par le vacarme étourdissant des sonneurs de cornes et de carnyx qui emplissait la vallée. Généralement plus grand (pour Pausanias les Celtes sont les hommes les plus grands du monde), blond ou roux, souvent peint, avec ses cheveux lissés au beurre clarifié, le guerrier celte était pourtant jovial, farouche mais très individualiste. Cela semble expliquer en grande partie leur défaite face à Jules César alors qu’ils étaient bien supérieurs en nombre, en valeur au combat et dotés de la longue épée celte, autrement plus redoutable que le gladius romain . Après la victoire, César et ses successeurs chercheront par tous les moyens à exterminer l’existence de leurs dieux et le pouvoir des druides, qui resteront omniprésents dans les textes irlandais et donneront le Merlin de la légende arthurienne.
L’autre question sans réponse est celle de l’unité d’un tel ensemble, couvrant le continent. Le droit est essentiellement privé, à l’échelle de la tribu ou de la famille, du clan, où les affaires se règlent en famille. Pourtant, à la moindre provocation, ils se rassemblent en bandes et semblent obéir à quelque instinct supérieur. Les Celtes de Brennus menaceront Rome (et les fameuses oies du capitole) et pilleront Delphes. Leur présence est attestée pendant tout de même près de sept siècles ! Sans villes, sans empire, sans rois, sans écriture mais avec une connaissance et une maitrise exceptionnelle de la métallurgie et surement d’autres secrets qui nous sont aujourd’hui inconnus.
L’archéologie Celtique n’a pas eu son Schliemann, son Evans, son Carter, sa Pompéi ou sa pierre de Rosette et si jamais on se décide enfin pour fouiller vraiment le Mont Beuvray, 135 hectares ! On peut rêver d’y découvrir des choses très intéressantes, là ou ailleurs. Quoi qu’il en soit, une exposition aura surement, dans vingt ans, comme le soulignent les organisateurs, une allure très différente de celle d’aujourd’hui. En dépit des avancées des archéologues, le mystère reste épais.
Jean-Louis Brunaux / Les Matins par franceculture
Gaulois, l’expo renversante, Cité des sciences, La Villette.
Jusqu’au 2 septembre 2012. Mardi au samedi de 10h à 18h et le dimanche de 10h à 19h. Plein tarif : 11 € Tarif réduit* : 8 €
http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/expositions/gaulois/