« Cluny 1120. Au seuil de la Major Ecclesia » Au Musée du Moyen Age
Déjà, lorsque j’étais écolier, que je tombais sur un livre ou un cours sur les grandes cathédrales, il y avait toujours deux images juxtaposées, pour mettre en évidence une différence. L’une éclatante, triomphante et flamboyante, l’autre modeste, robuste et simple. La première sur l’architecture Gothique, la seconde sur l’architecture Romane. On m’expliquait toujours l’une par rapport à l’autre. Comme deux sœurs, celle qui aurait tous les attraits et celle, les moindres. À l’ainée les grandes flèches, les beaux vitraux, les arcs brisés qui montent au ciel, la lumière diffusante, prégnante et rebondissante. À la cadette, la petitesse, la demi-lune, l’arc en plein-ceintre et la carrure de basilique, le portail lourd et massif au tympan qui donne la leçon, la pierre bosselée et usée. L’Art Roman, une sorte d’art religieux basique, encore imparfait, en route, pièce d’étalonnage de son illustre successeur, doué pour toutes les finesses. Il est estimable que le Musée du Moyen Age atténue aujourd’hui cette injustice et remette les pendules à l’heure…
"Cluny 1120, au seuil de la Major Ecclesia" au... par clunisois
C’est à Cluny qu’a vu le jour la plus remarquable réalisation d’Art Roman, une abbatiale, un modèle. Elle n’existe plus, détruite par la Révolution. Aujourd’hui, on peut reconstruire des images 3D ou de réalité augmentée pour donner au visiteur une idée de ce qu’était le monument. C’est le cas au musée du Moyen-Age où vous débutez l’exposition par une vidéo.
On peut aussi essayer de la reconstituer partiellement. C’est le cas à l’exposition avec le grand portail, dont il nous reste quelques pièces, dont un saint-pierre ou l’aigle de saint-jean. Symbole de l’Art Roman, car lieu d’accueil, refuge, lieu de salut, quand la civilisation vacille au dehors, le portail est le passage obligé. À Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay, c’est l’image de la pentecôte. À Saint-Pierre de Moissac, l’Apocalypse. À ND de Poitiers des scènes bibliques, À St Lazare d’Autun c’est le jugement dernier que rencontrent les hommes et les femmes qui franchissent la porte. C’est sur ce dernier qu’on peut admirer le plus grand et le plus beau portail avec la mention “gislebertus hoc fecit”, chose rare que la signature de l’auteur. À Conques c’est aussi le jugement dernier mais à Cluny (1120), c’est l’ascension du Christ avec les apôtres sous la voûte en berceau.
L’abbatiale est la plus grande et le plus prestigieuse bâtisse de la chrétienté jusqu’à la construction de St Pierre de Rome. La plus grande église romane de tous les temps. Capitale d’un empire constitué de 1400 monastères ou maisons dans toute l’Europe ! Pas de dépendance envers un duc ou même un Roi, l’abbaye dépend du pape en personne. D’ailleurs, elle en formera de nombreux : Gerbert d’Aurillac, Gélase II, Eugène III, Urbain II (celui de la Ière croisade) et le plus célèbre : Saint Grégoire VII, l’auteur du “dictatus papae”, de la réforme du XIe siècle et de Canossa. Le réseau des Clunisiens sera décisif dans la diffusion et l’appropriation de la réforme grégorienne en Europe. De son côté, visage glabre, crâne rasé avec une petite couronne de cheveux, le moine de Cluny n’est soumis qu’à Dieu, à Saint-Pierre et au Pape.
La Maior ecclesia est très vaste, 187m de long, 65m de large, 30 m vers la voute, 5 chapelles, 4 clochers. Il faut imaginer ce que pouvait représenter cette entrée gigantesque, ces hommes encapuchonnés, vêtus de cette bure foncée, ces moines noirs qui suivaient les arcades et longeaient les colonnes de la nef à cinq vaisseaux, sous les huit tons des chants grégoriens. Vous en avez une petite intuition en quelques lieux, à Paray-le-Monial, par exemple. Dans la nuit du Xe siècle, c’est d’ici que la règle de Saint-Benoit est partie à la conquête de la terre. La journée est partagée entre le travail et la prière, et nul ne se parle, s
implement des gestes.
C’est le silence, le travail, tous les travaux possibles, la foi inébranlable en l’infinie miséricorde et l’abondance du don.
Mais surtout, on lit et on recopie. Le moine est un intellectuel, le seul de ce temps. Beaucoup de textes de l’antiquité, Tite-Live, Ovide, Cicéron, mais aussi de musique ou de médecine, des guides, des chroniques. Au-dessus des piliers en polychromie, rouge et or, sur les chapiteaux de Cluny III étaient représentés les arts libéraux, Trivium et Quadrivium : grammaire, dialectique et rhétorique pour l’un. Arithmétique, musique, géométrie et astronomie pour l’autre.
Cluny a eu une influence décisive au Xe et XIe siècles sur l’avenir de la civilisation occidentale. Sans commune mesure avec beaucoup des plus belles cathédrales gothiques. Lorsqu’elle fut détruite par les révolutionnaires en 1794 (l’année ou JJ.Rousseau entre au Panthéon), qui savaient très bien ce qu’ils faisaient, ce n’était pas uniquement l’appropriation des terrains ou la vente des pierres qui était recherché, c’était aussi l’antique souvenir de l’ordre et du pape qu’il convenait de réduire. Une seule tour subsiste aujourd’hui et environ 10 % de l’édifice. Il ne reste que des initiatives comme celle du Musée du Moyen Age ou la technologie pour la voir revivre. Mais l’abbatiale est avant-tout de l’œuvre des hommes, il ne faut pas l’oublier, certes comme l'archéologue américain Kenneth John Conant , qui a dessiné parcimonieusement ce qu’il a pu retrouver, mais aussi et surtout de tous les acteurs qui ont fait que ce n’était pas uniquement une belle abbaye en Bourgogne mais bien une œuvre d’Art qui a marqué l’Histoire d’une empreinte décisive.
Extrait Maior Ecclesia 2010 par ClunyNumerique
A partir du mercredi 28 mars au 2 juillet 2012 Musée national du Moyen Age - Thermes et Hôtel de Cluny, à Parishttp://www.musee-moyenage.fr/homes/home_id20392_u1l2.htm
A voir : le site http://www.clunisois.fr/cluny1120/