Hélène de Troie, la beauté en majesté au Musée Gustave Moreau
Au cœur de la nouvelle Athènes, rue de La Rochefoucauld, vivait le peintre Gustave Moreau, celui qu’Huysmans appelait “Le mystique enfermé en plein Paris”, loin de la vie mondaine. Dans cette maison qui est devenue aujourd’hui son musée, l’ermite donnait libre cours à sa passion pour un dessin exigeant, symbolique, esthétique, envoûtant. Une chorégraphie imaginaire et éclectique puisée au fond des mythes, une poésie pure qui devient mystique, jusqu’à l’apothéose. Aujourd’hui la maison de G.Moreau vous parle d’Hélène de Troie.
En 1880, G.Moreau participe au salon pour la dernière fois, avec Hélène de Troie, qui se trouve aujourd’hui dans un lieu inconnu, elle disparut du marché de l’Art en 1913. Celui qui sera professeur d’Henri Matisse quelques années plus tard aux Beaux-Arts a atteint un niveau d’expression époustouflant qui fait l’admiration de tous, y compris des impressionnistes, avec lesquels il ne partage pas grand-chose. Il est seul. Quand Monet peint Nana et Degas sa danseuse, il peint une autre femme, une femme à la fois païenne et chrétienne. Elle s’appelle Hélène aujourd’hui.
Hier, pour G.Moreau, elle s’appelait Europe en Crète, en Judée elle était Bethsabée ou Dalila, divine Galatée en Sicile ou à Sparte, Léda, en amoureuse Eurydice, tragique Sémélé, monstrueuse en Médée, idem Salomé, voluptueuse en Messaline, magicienne Pasiphaé. Symbolique et syncrétique, à chaque fois c’est le visage de la femme éternelle qui se métamorphose. Au plus profond du rêve, c’est celle qui vainc le vice et triomphe de la mort : c’est l’image de la vierge, de la piètà, de la virtus latine. C’est la domina romaine, Livia Augusta. Une abstraction, un symbolisme moralisateur qui lie les contraires, les sources chrétiennes et Ovide, l’Orient et l’Occident. Une tension et une contradiction qui le pousse vers “cet admirable christianisme et cette sublime religion catholique” : une foi violente. Connue comme la plus belle femme de l’antiquité, Hélène sera responsable d’une guerre atroce de 10 ans. “De quelle source a donc brillé la beauté de cette Hélène qui fut l’objet de tant de combats ?” demande Plotin. Elle parade sur les murs de Troie en flamme avec les cadavres des héros grecs à ses pieds. Hélène de Troie a en elle le vice et la vertu, elle est sœur de Castor et de Pollux. Alternativement dans la vie et dans la mort.
Au cours de cette exposition, vous verrez le diadème et le collier que portait Julia Bartet, la rivale de Sarah Bernhardt, qu’admirait G.Moreau. Elle jouait Bérénice à la comédie française et il fit de nombreux dessins. Je suis resté longtemps devant ces pièces. Je pensais d’abord à Sophie Schliemann. Les excavations de son cher mari sur la colline d’Hissarlik en 1873 permirent de trouver les ruines de Troie et ses trésors, le fameux “Trésor de Priam”. Sophie, qui participait aussi activement aux fouilles, se fit photographier avec la parure exceptionnelle découverte alors, puis s’enfuit précipitamment pour l’Allemagne avec le trésor, caché dans son châle, dit-on, ce qui scandalisa tout le monde. Je suis bien certain que cette découverte eût un immense écho chez G.Moreau et qu’il connût l’anecdote. Je pensais également à André Breton qui rêvait de se promener la nuit, dans la maison de la rue La Rochefoucauld, “par effraction, avec une lanterne”. Il se serait arrêté devant Léda, la mère d’Hélène et son cygne, se serait sûrement dirigé vers Ulysse et les prétendants de Pénélope après qu’il eût gravi l’escalier en colimaçon mais ne se serait pas aventuré plus loin. Dans la pénombre de l’atelier, il aurait vu, pétrifié, le fantôme errant d’Alexandrine Durieux portant les bijoux d’Hélène de Troie.
Gustave Moreau - Hélène de Troie La beauté en majesté Du 21 mars au 25 juin 2012
http://www.musee-moreau.fr/pages/page_id18879_u1l2.htm