Pompéi : un Art de vivre au Musée Maillol
Il y a beaucoup de monde, rue de Grenelle, pour cette exposition de 200 pièces qui nous sont parvenues de la tragédie du 24 aout 79 et c’est naturel, Pompéi a toujours fasciné depuis trois siècles.
Déjà, lors de la découverte, à l’époque de lumières, le retentissement fut considérable et particulièrement lors des premières fouilles, vers 1749. L’engouement fut tel qu’il donna naissance à une véritable mode à l’Antique pendant les décennies qui suivirent. On présente souvent la Renaissance comme la période de la redécouverte des richesses de l’antiquité, mais ce ne fut rien à côté des révélations exhumées des fouilles et des interprétations des contemporains. L’érudit, ou le simple visiteur, revivait Rome in situ et pas seulement via les interprétations des auteurs latins.
Les maisons romaines (domus), en dehors de celles ensevelies par le Vésuve sont très rares, et c’est ce quotidien qui nous est proposé au musée Maillol par un parcours dans l’évocation d’une maison antique : l’atrium (Entrée), le tablinium (galerie), le triclinium (salle à manger) et la culina (cuisine), le balneum (salle de bain) et le venereum (salle du fascinant).
Beaucoup firent le voyage pour leur propre compte. Dès 1763, Grimm put écrire qu’à Paris “tout est à la grecque”, entretenant une confusion qui dure encore entre la Grèce et Rome : bals, costumes, comédiens des boulevards, poésies d’André Chénier (dont la mère était grecque), peintures néo-classiques de David, d’Ingres, sans oublier la décoration où, de Louis XVI jusqu’à Napoléon, l’abondance des emprunts sera manifeste. En 1788, l'abbé Jean-Jacques Barthélemy, philologue, publia Les Voyages du jeune Anacharsis en Grèce qui eut un grand retentissement et inspira Chateaubriand, Dumas, Stendhal. Le musicien le plus célèbre, Haydn, composera un concerto pour lyre. Goethe visitera Pompéi avec son carnet en 1787. Ils seront tous fortement impressionnés. Jusqu’à celle qui, une fois reine de Naples, fera intervenir l’armée pour accélérer les fouilles : la sœur de Napoléon, Caroline épouse Murat, qui ne pouvait se vêtir autrement qu’avec la tunique blanche et les boucles dans la chevelure. Le prince Napoléon, fils de Jérôme, fit même construire sa “maison pompéienne” au 18 avenue Montaigne, en plein Paris.
La première chose qui impressionne est l’abondance et la finesse de l’art du bronze, arrivé à son apogée. Dans le mobilier : lits, tables, baignoires, candélabres, braséros, lampes à huile, coffre, vaisselle, chauffe-eau, poêle. Toujours très décorés et quelquefois couplés avec de l’or ou de l’argent comme cet Œnochoé en forme de tête de femme qui est sur l’affiche. Egalement dans la décoration, statues, grelots, amours, éphèbes, cratères. On trouvera assez peu d’enduits muraux ou de mosaïques à l’exception de celles du triclinium et d’une fontaine.
Un autre point récurrent et bien visible lors de ce parcours est l’omniprésence du culte dionysiaque. Les Romains avaient une conception très différente du culte. Davantage un échange, un contrat : je te donne, tu me donnes. Relation qu’il nous est difficile de concevoir en rapport avec le dieu de la Bible. Le dieu de Nysa était celui de la terre qui donne le vin sur les pentes fertiles du Vésuve, mais aussi celui de l’abondance qui donne l’orgie : Dionysos en fonte et damasquinage, Dionysos floral, Dionysos Trônant, Dionysos avec sa panthère, versant du vin, enfant avec Silène ou apparaissant à Ariane. Une multitude de variations de celui qui, à travers ses errances en Inde ou chez les morts, à travers les mystères de la création, apparaissait comme le plus étonnant des dieux. Liber était un des multiples noms du dieu fascinant. Dionysos-Bacchus “libère” par le vin.
La première coupe est pour la soif (ad sitim), la deuxième pour la joie (ad hilaritem), la troisième pour la volupté (ad voluptatem) et la quatrième pour la folie (ad insaniam). Il enfle le sexe et hypertrophie le caractère. Liber était le dieu de toute génération, de la semence de la vigne jusqu’à la frénésie des bacchanales. Les jours de fête, le phallos était placé sur un charriot, promené de la campagne à la ville pour le bonheur des semailles et éloigner le mauvais œil. Le mot grec phallos se dit en latin fascinus.
Sa représentation était présente partout à Pompéi : dans les maisons, dans les rues, sur le sol, dans les boutiques, sur le fronton des édifices, avec des ailes ou des grelots ! Porte-bonheur et opposant aux forces maléfiques, il est à la fois la force de la vie primordiale et sa perpétuité. Puis venait l’interrogation, le mystère, puis l’orgie. On imagine l’effet qu’ont pu avoir ces découvertes sur les hommes du XVIIIe siècle qui débattaient du jansénisme ou du grand architecte de l’univers.
L’impudique chez les Romains n’a pas le même sens. Ils ne connaissent pas l’hétérosexualité ou l’homosexualité, qui sont des mots du XIXe siècle, mais une seule sexualité : la dominatio du dominus ou de la domina sur la nature qui jouit.
N’ont de sens que l’actif et le passif. L’homme (ou la femme) libre et l’esclave. La virilité est le devoir de l’homme libre et le viol des êtres inférieurs est la norme. L’une des figures les plus représentées à Pompéi est celle du viol d’une ménade par un satyre. Le désir inverse eut été inconcevable et punissable de mort. Ce qui est impudique est l’échange des rôles.
Ce sont ces évidences que l’on devine dans cette exposition sur “l’art de vivre” ; une petite salle rouge (qui rappelle, à dessein, la villa des mystères) rassemble les pièces “obscènes” et présente un avertissement : attention les enfants, danger ! Pourtant, ce fut bien cela qui fut la plus incroyable révélation de ce qui se cachait sous les tonnes de cendres et de scories de la ville enfouie.
Pour tous, le choc fut particulièrement brutal.
Exposition Pompéi, un art de vivre Musée Maillol, 59-61, rue de Grenelle (VIIe)
Tél. : 01 42 22 59 58.
Horaire : tlj de 10 h 30 à 19 heures, ven jusqu’à 21 h 30 jusqu’au 12 février Prix d’entrée : 11 €
Franck Ferrand sur Europe 1 : Pompéi, Herculanum : victimes du Vésuve