source : Anne Prah-Perochon http://www.france-amerique.com/articles/2011/07/15/durant_la_revolution_la_vie_continue_a_paris.html
Jeux de dames au café Lamblin au Palais-Royal (Louis Léopold Boilly (1761-1845)
La Révolution de 1789, la Terreur de 1793 : des moments à jamais gravés dans l'histoire de la France. Que font les Parisiens dans ce climat d'instabilité ? Peuvent-ils mener une vie à peu près normale ? Que d'évènements entre la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 et la chute de Robespierre en juillet 1794 (9 Thermidor de l'an II) ! La royauté renversée, la chute de nombreuses factions politiques (Hébertistes, Dantonistes, Girondins), le transfert de la famille royale des Tuileries à la prison du Temple, l'exécution de Louis XVI et de Marie-Antoinette, et à l'extérieur, une coalition européenne contre la France. Il n'y a pas si longtemps, Paris était encore la ville la plus éclairée d'Europe, symbolisant la liberté d'esprit et l'élégance des manières.
« Quiconque n'a pas vécu avant la Révolution, ne connaît pas la douceur de vivre! », déplorait Talleyrand.
Pour l'heure, Paris vit au rythme de la dénonciation et de l'espionnage. C'est devenu une rage. Les députés se dénoncent, le locataire dénonce son propriétaire, l'acheteur le vendeur, le commis son patron. Le redoutable Comité de salut public a ses espions, mais Robespierre possède également son propre réseau qui surveille les dénonciateurs officiels ! Mais plus redoutées encore sont les « Tricoteuses ». Ces femmes d’origine populaire sont l’un des maillons actifs du mouvement révolutionnaire. Elles sont utilisées par la police et payées quarante sols par jour pour entretenir une agitation populaire permanente, appelant dans la rue à l'insurrection. Elles suivent les séances de la Convention et apostrophent les députés depuis les tribunes. Sous la Terreur, elles s'installent, quelques unes peut-être avec leur tricot, au pied de la guillotine, laissant ainsi dans la mythologie collective l’image de monstres assoiffés de sang.
Paris s'amuse quand même
Mais la vie quotidienne se poursuit, avec ses occupations, ses soucis habituels, ses plaisirs aussi. « Il y a des jours où Paris est très calme, où nous n'avons pas l'air d'être en guerre ou en révolution », écrit un Parisien à cette époque. Faubourg Saint-Antoine, les ouvriers continuent de travailler. Les commerçants ouvrent leurs boutiques aux Halles. On voit autant de petits vendeurs de pommes et d'eau-de-vie qu’avant. Surtout, les Parisiens n'ont pas perdu leur goût pour les plaisirs de la table, comme en témoignent les restaurants pleins à craquer. La Révolution ayant mis sur le marché les cuisiniers de grandes maisons, ces derniers ne tardent pas à ouvrir leur propre restaurant où pour 15 à 20 francs, le client est aussi bien traité qu’à la table d'un prince. En 1789, Paris compte une centaine de restaurants, regroupés autour du Palais-Royal, le quartier à la mode, animé par une foule d'avocats et de journalistes réputés pour leur liberté de pensée.
Cafés, restaurants, tripots fleurissent sous les arcades du jardin et le long des galeries Montpensier, Valois et Beaujolais. Ils possèdent tous à l'étage ou à l'entre-sol des salons de jeux, souvent témoins de suicides de joueurs ruinés.
Le Café de Chartres, le futur Véfour (82, Galerie de Beaujolais), y reçoit les révolutionnaires purs et durs, les Jacobins Marat, Danton, Robespierre et Saint-Just. Le Café de Foy (57-60, Galerie Montpensier), seul établissement autorisé à servir en terrasse, voit, le 12 juillet 1789, Camille Desmoulins grimper sur une table et haranguer la foule qui s'est pressée sur la terrasse. Non loin de là, le Café Corrazza (7 - 12, Galerie Montpensier) est le restaurant-glacier favori des députés qui, tout en dégustant ses célèbres glaces, y « cuisinent » de nombreux complots. Au 103 de la Galerie de Beaujolais, le Café des Aveugles est le quartier général des sans-culottes. Il a pour devise : « Ici, on s'honore du titre de citoyen, on se tutoie et l'on fume ». Quatre musiciens aveugles y jouent du violon, de la clarinette, de la flûte et de la basse, sans voir qu' « il se passait là des choses qui eussent révolté la pudeur d'un orchestre »
Même les pommes de terre gèlent
Paris s'assombrit tout de même. Ce n'est pas pour des raisons politiques mais matérielles : chaque jour, les 600 000 Parisiens éprouvent de plus en plus de difficultés à faire bouillir la marmite. La pénurie des vivres, la vie chère, voilà les vrais fléaux qui sapent le moral de la population.
Le 14 juillet 1789, la foule en colère s'empare de la prison de la Bastille croyant, à tort, y trouver des stocks de blé. Peu après, au début octobre, une horde de cinq mille femmes armées de fourches, lardoires et couteaux de cuisine qu'elles aiguisent aux bornes de la route, marche sur Versailles pour ramener à Paris le roi et la reine en scandant : « Du pain ! Du pain ! Nous ramenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron ; ils nous donneront du pain ou ils verront ! »
L'hiver 1789-90 s'avère particulièrement rigoureux, le plus long et le plus froid du siècle. Il sera suivi de deux autres, presque aussi rudes. Les paysans inquiets cachent la farine. La Seine gelée laisse les moulins immobiles, les routes impraticables empêchent le cheminement des vivres vers la capitale où des queues se forment devant des magasins de plus en plus vides. Seuls les plus nantis peuvent acheter un boisseau de pommes de terre. Mais même les pommes de terre gèlent. Antoine Parmentier qui avait réussi quelques années plus tôt à convaincre les Français de l'utilité de ce tubercule, publie dans les journaux des conseils pour en tirer parti de la patate, même gelée, et en faire une sorte de pain grossier mais comestible. Pour ajouter à ce fléau, en 1793, la province agricole de la Vendée qui alimente Paris en viande, refuse de reconnaître le gouvernement révolutionnaire et se soulève. Cette insurrection prive le reste du pays d'une expédition moyenne de six cents têtes de bétail par jour. Le ravitaillement à Paris, déjà difficile en 1789, est devenu inexistant en 1793. Durant l'hiver 1793-1794, davantage de Parisiens sont morts de faim et de froid que sous la guillotine.
Sur le chemin des condamnés, le prix de l'immobilier chute
Tout à leurs angoisses de ravitaillement quotidien, les Parisiens ne sont pas toujours au courant du déroulement des évènements politiques, aussi dramatiques soient-ils. L'indifférence parisienne est secouée en décembre 1792 par la nouvelle du procès du roi Louis XVI. Lorsque le roi est guillotiné un mois plus tard, le 21 janvier 1793, un silence oppressant écrase la capitale. Ce jour-là, chacun marche avec gravité, osant à peine regarder les autres passants, conscient qu'une page est définitivement tournée.
La vraie Terreur commence, accompagnée de son cortège quotidien de charrettes à destination de la guillotine. La presse frappée d'interdiction, les journalistes et hommes de lettres risquent leur vie. Certains réussissent à partir en exil, d'autres n'échapperont pas à l'exécution.
Jusqu'en 1792, date de la création de la République, la mort par décapitation était réservée aux aristocrates et gens de qualité. Les basses classes n'avaient droit qu'à la pendaison ou à d'horribles supplices. Ému par cette inégalité, un médecin charentais, Joseph Guillotin, présente à l'Assemblée Nationale une « machine très sûre qui ne fait point languir le patient », que l'on appellera plus tard « la guillotine ».
À force de voir passer rue Saint-Honoré la charrette des condamnés, en provenance de la Conciergerie pour se rendre à la place de la Révolution (l'actuelle place de la Concorde), les Parisiens blasés n'y attachent guère plus d'importance qu'à un fait divers. Pire encore, au lieu d'être touchés par le sort des victimes, les propriétaires des maisons du quartier protestent : la valeur de l'immobilier est descendue en flèche. Ils réussissent à obtenir que la guillotine soit déplacée de la place de la Révolution à la place de la Bastille. Les habitants de ce quartier n'en veulent pas non plus. La célèbre tueuse est déménagée place du Trône (l'actuelle place de la Nation), hors de la vue des habitants.
La mort de Robespierre en juillet 1794 met fin à la Terreur mais pas à la République. Les Parisiens se réhabituent peu à peu à une vie quotidienne moins tragique et reprennent goût à la vie.
Environ six euros par jour en valeur actuelle. La livre tournois, qui valait l'équivalent de 2.97 euros, comptait 20 sols ou 240 deniers.