Quelle visite à Paris ? |
Visite à Paris - Guide Conférencier |
Source : Le Figaro Eric Neuhoff - 11/07/2011 - http://bit.ly/njIz4i
Avec cette rengaine entraînante, l'avenue la plus célèbre fut sur toutes les lèvres. Paris ressemblait à New York, la ville qui ne dort jamais. En plus, il habitait boulevard Raspail. Son adresse - dans tous les sens du terme - n'empêcha pas Joe Dassin de célébrer la rive droite. Le succès, pour lui, c'était un pont à traverser. De l'autre côté de la Seine, il y avait Les Champs-Élysées, autrement dit la consécration. Ça n'avait pas été une mauvaise idée, de s'emparer du Waterloo Road du groupe anglais Jason Crest. Pierre Delanoë s'attela aux paroles. En 1969, l'avenue la plus célèbre du monde fut sur toutes les lèvres.
Si l'on en croyait le refrain, l'endroit était comme la Samaritaine: on y trouvait tout. Tout ce qu'on voulait. Quelles que soient l'heure et la météo. Soudain, entre la Concorde et l'Arc de triomphe, Paris ressemblait à New York, la ville qui ne dort jamais. Ça ne devait pas gêner le fils de Jules Dassin de prêter à la capitale française les vertus de Manhattan.Le fait d'être Américain lui donnait une aisance, une décontraction, un air de ne pas y toucher qui furent pour beaucoup dans le triomphe de cette rengaine entraînante. Le disque sortit en mai 1969. Un an auparavant, les supporteurs du général de Gaulle défilaient sur les mêmes pavés pour soutenir le président malmené par les étudiants contestataires. Entre-temps, Joe Dassin s'était lancé dans un éloge amusant des Dalton. Difficile de déceler là-dedans une forte conscience politique.
Sur scène, la vedette avait appris à manier le lasso.
Champs-Élysées… Ces syllabes magiques font surgir un tas d'images à l'esprit: le drugstore, les cinémas d'exclusivité, le Fouquet's où se retrouvaient les acteurs, les contre-allées où Jean Seberg vendait le New York Herald Tribune dans À bout de souffle. Le pub Renault existait-il déjà? Bizarrement, la chanson ne parle pas de tout cela. Il y a des mots comme ça. Il suffit de les prononcer et l'envoûtement fonctionne: Ve Avenue, via Veneto, Champs-Élysées. Il s'agissait d'une France d'avant le RER. Les Champs-Élysées étaient chics. Les Grands Boulevards, vous n'y pensez pas. Ceux-là étaient bons pour Yves Montand, pour les titis parisiens. Le VIIIe arrondissement incarnait le substrat de l'élégance. Il faut se replacer dans le contexte. Un général dirigeait le pays. La province était une contrée étrangère. Les boutiques n'étaient pas les mêmes partout. Il n'y avait pas de fast-food.
On croyait que les galeries marchandes étaient un signe de progrès. Les centres commerciaux incarnaient l'avenir, la modernité. Douce époque.
Le 1er avril - ce n'était pas une blague -, Joe Dassin avait eu un infarctus, le premier d'une longue série. Soudain, la vie s'accélérait un peu trop. Il venait de se disputer avec ses paroliers habituels, Frank Thomas et Jean-Michel Rivat, qui avaient signé entre autres Siffler sur la colline et La Bande à Bonnot. Avec Les Champs-Élysées, le jackpot est au rendez-vous. Sur la pochette jaune du 45-tours, il y a le dessin d'une diligence à l'ancienne.
La face B contient Le Chemin de Papa, qui ne fut pas vraiment un échec. Au verso, la photo de l'interprète, de profil, cigare au bec et Ray-Ban sur le nez. Cool, quoi. Pourtant, cela ne plaisante plus. Dassin découvre que le show-business, s'il est parfois un show, est surtout un business. Il va s'occuper sérieusement de ses affaires. Le tube se retrouve no 11 au hit-parade néerlandais pendant sept semaines. À Moscou, la chanson arrive devant les Beatles. Les Chinois fourniront aussi leur version. Jean-Claude Pascal livrera bientôt la sienne en allemand. Dassin enregistre en anglais, en allemand. Au Japon, l'ambassade de France se sert de la chanson pour assurer la promotion du pays. Les orchestres de Georges Jouvin ou de Raymond Lefèvre se mettent de la partie. Dassin effectue une carrière sans faute en URSS.
Seule l'Italie semble réticente au talent du chanteur, qui s'exhibe désormais en smoking blanc. La tenue, devenue légendaire, lui a été conseillée par Jacqueline Salvador, à l'occasion d'un tournage de l'émission Les Salves d'or, animée par son mari, Henri. En octobre, Joe Dassin passe en vedette à l'Olympia. Pattes d'éléphant et rouflaquettes, sa dégaine est reconnaissable. Ajoutez à cela ce strabisme qu'il n'a jamais pu corriger et vous avez la panoplie d'une star de la Ve République. Ce grand échalas aux yeux bleus né aux États-Unis incarne une France souriante, débonnaire, romantique, alors que dans la réalité elle ressemble à celle de Claude Chabrol. Il aura beau vanter l'Amérique, Guantanamera et les étés indiens, on l'identifiera toujours aux petits pains au chocolat, à la mélancolie, et à ces filles qui se prénommaient Marie-Jeanne.
Son oreille internationale lui permet de vampiriser la variété mondiale. Avoir été élevé dans les meilleures écoles suisses ne lui sera pas inutile. Il était attentif aux textes, lisait Hemingway et Truman Capote, Kerouac et Faulkner, ce qui ne l'empêchait pas de pratiquer, le ski, le golf et la pêche sous-marine. Cette année-là, que Gainsbourg prétendait érotique, il rafle la première place à Johnny Hallyday au référendum du journal Salut les copains. Les yéyés ont des soucis à se faire.
Aujourd'hui, Joe Dassin est mort et les Champs-Élysées ne font plus rêver personne. Il n'y a plus que des boutiques de vêtements et des sandwicheries. Un par un, les cinémas ferment leurs portes. À la Fnac et chez Virgin, les rayons de disques réduisent leur superficie. Le Figaro n'est plus au Rond-Point. Paris Match a émigré en banlieue. La bande du drugstore va avoir droit à la carte vermeil. Les Champs-Élysées, cet hymne à la ville et à l'insouciance, ne serait plus de saison. En un sens, Joe Dassin a eu de la chance de ne pas voir ça.