Cette vidéo en deux parties de Canal Éducatif mène l'enquête pour comprendre pourquoi Auguste Rodin s'est obstiné à travailler dessus pendant toute sa vie, seul, œuvre tellement féconde qu’il n'arrivera jamais à la terminer.
Pourquoi s'agit-il d'une œuvre décisive pour l'histoire de la sculpture ?
En 1880, A. Rodin (1840-1917) reçoit une commande officielle du gouvernement : une porte d'entrée pour le musée des arts décoratifs qui doit être construit à Paris. Celle-ci, baptisée La Porte de l’Enfer doit être ornée de bas-reliefs s'inspirant de la Divine Comédie de Dante. La version connue aujourd’hui restera inachevée « cette œuvre dont on parle chaque jour mais qu'on ne voit jamais », les épreuves ayant été fondues après la mort de l'artiste. Une de ces versions se trouve au musée d'Orsay à Paris.
parties I et II par le Canal Educatif
Le sujet choisi par l’artiste est L’Enfer de Dante. Il est encadré par d’exquises moulures dont le style appartient à cette époque indécise et charmante qui va du gothique à la Renaissance, époque gardant le mysticisme de l’un et l’élégance païenne de l’autre. Octave Mirbeau en donne une première description complète dans La France le 18 février 1885 :
“C’est parmi les cercles effrayants tracés par le poète florentin dans les flammes qui ne s’éteignent jamais et les laves qui bouillonnent toujours qu’il a laissé errer librement son imagination. Outre des groupes importants, cette vaste composition lyrique comporte plus de trois cents figures, toutes différentes d’attitude et de sentiment, exprimant chacune, synthétiquement, une forme de la passion, de la douleur et de la malédiction humaines. En examinant ces bouches tordues, ces poings convulsés, ces pointures haletantes, ces masques éperdus le long desquels coulent des larmes sans fin, il semble qu’on entend retenir les cris de la Désolation éternelle.
Au-dessous du Chapiteau de la porte, dans un panneau légèrement creusé en voûte, figure Dante très en saillie et se détachant complètement sur le fond, revêtu de bas-reliefs qui représentent l’arrivée aux enfers. Sa pose rappelle un peu celle du Penseur de Michel-ange. Le Dante est assis, le torse penché en avant, le bras droit reposant sur la jambe gauche, et qui donne au corps un inexprimable mouvement tragique. Son visage, terrible comme celui d’un dieu vengeur, s’appuie lourdement sur la main qui s’enfonce dans la chair vers le coin des lèvres refoulées ; et ses yeux sombres plongent dans l’abîme d’où montent des vapeurs sulfureuses avec la plainte des damnés.
Les battants de la porte sont divisés en deux panneaux séparés chacun par un groupe, formant en quelque sorte marteau. Sur le battant de droite, Ugolin et ses fils ; sur celui de gauche, Paolo et Francesca. Rien de plus effrayant que le groupe d’Ugolin. Maigre, décharné, les côtes saillant sous la peau que trouent les apophyses, la bouche vide et la lèvre molle, d’où semble tomber, au contact de la chair, une bave de fauve affamé, il rampe, ainsi qu’une hyène qui a déterré des charognes, sur les corps renversés de ses fils dont les bras et les jambes inertes pendent ça et là dans l’abîme.
A gauche Francesca, enlacée au corps de Paolo, fait le plus suave et le plus tendre contraste à ce groupe qui synthétise les horreurs de la faim. Au-dessus des groupes, Rodin a composé des bas-reliefs sur lesquels se détachent des figures en ronde-bosse, des scènes en demi-bosse, ce qui donne à son œuvre une perspective extraordinaire. Chaque battant est couronné par des masques tragiques, des têtes de furies, des allégories terribles ou gracieuses des passions coupables. Au-dessous des groupes, des bas-reliefs encore, sur lesquels saillent des masques de la douleur. Le long du fleuve de boue, des centaures galopent, emportant des corps de femmes qui se débattent, se roulent et se tordent sur les croupes cabrées ; d’autres centaures tirent des flèches sur les malheureux qui veulent s’échapper, et l’on voit des femmes, des prostituées, emportées dans des chutes rapides, se précipiter et tomber, la tête dans la fange enflammée.”