L’Aigle de la neuvième légion
C’est un pari osé que fait Kevin Macdonald avec son film qui retrace l’aventure d’un Romain (Marcus) et de son esclave (Esca) dans les Highlands écossais autour de 140 après. Le film est adapté d’un roman à succès de l’écrivaine britannique Rosemary Sutcliffe, publié en 1954.
Un centurion romain part rechercher l’Aigle de la légion de son père, disparue vingt ans plus tôt, et recouvrer l’honneur perdu de sa famille. L’histoire est probablement inspirée des légions de Varus, décimées par les germains dans la forêt de Teutobourg à l’époque d’Auguste. On sait le drame que ce fut pour les Romains, qui n’avaient pas connu pareil désastre depuis Cannes et Hannibal. Inspiration probable aussi par les merveilleuses trouvailles de Vindolanda où furent découvertes en 1973 les fameuses tablettes, apport précieux sur la connaissance de la vie des soldats dans un fort de la frontière Nord.
On sent chez le réalisateur, connu pour ses documentaires, un certain souci d’authenticité, à la fois dans la reconstitution mais aussi dans l’esprit des personnages : reconstitution du mur d’Hadrien, le “limes britannica” qui sépare la civilisation romaine des tribus de l'âge de fer vivant de l’autre côté. Le fort, les équipements et les techniques de combats de l’armée romaine sont très soignés. Les hommes peints (pictus) ressemblent assez physiquement à ceux décrits au début de l’ère chrétienne.
Le film gravite autour de la notion d’honneur, au cœur de la conscience romaine, où chez tout citoyen, il y a toujours un Régulus qui sommeille. Marcus célèbre Mithra-Soleil, dieu oriental qui connut une vogue particulière au sein des légions ces années-là. Jusqu’à l’Aigle doré de la neuvième légion, sujet de sa quête, qui est bien plus qu’un simple talisman. Pour Marcus, il est presque “lare militari”, devenu “lare domestici”, déité qui préserve la mémoire de son père. Il honore aussi Hadrien, empereur-dieu, qui préserve Rome et la cité, qui se confondait alors. Pourtant, au travers de celui qui deviendra son esclave breton, il manifeste de la pitié et une compassion chrétienne, qui, au final, s’avèrera décisive dans cette histoire. On a donc bien conscience de la complexité des idéaux et de la distance qui nous sépare de ces hommes là.
Pourtant, j’ai eu l’impression qu’il s’arrêtait en chemin sans aller au bout de ses idées.
On a très peu de connaissances des Celtes qui vivaient là, mais les pictes qu’on nous montre vivent dans l’ignorance, la barbarie, l’anthropophagie et le meurtre des enfants. D’ailleurs, leur nom n’est pas clairement identifiable : pictes, bretons, calédoniens, brigantes, j’ai même vu hommes-phoques (?). On sait que le mur de 6m de haut n’était pas une frontière infranchissable, un no man’s land, mais très probablement un lieu d’échange et de perception de taxes important, avec des villages celtes accrochés au mur.
Certains officiers vivaient avec leurs femmes et entretenaient des rapports cordiaux avec certains autochtones, même des rapports commerciaux, on a retrouvé de la monnaie romaine bien au delà du mur. Symboliquement pour moi,dans la dernière scène, la tenue vestimentaire est très importante. Esca n’est pas habillé en Romain, mais comme un paysan de Toscane. Dans la réalité, il est quasi certain qu’il fut vêtu à la romaine et porterait le tablier clouté. Marcus : idem. Détail ? peut-être.
Ce que nous dit ce film, c’est que devant dans la multitude des croyances, devant l’abondance de sauvages de l’autre côté, devant l’incertitude du destin, il ne reste que la civilisation à défendre et un mur à franchir. Pourquoi reporter sur Rome ses propres angoisses ? À voir tout de même.