D'abord, ce sont ces trompe-l’œil et façades menteuses de constructions assez habiles pour passer inaperçues dans le paysage urbain. Ainsi le 29, rue Quincampoix, 4e où fenêtres, rideaux et même silhouettes ne sont qu’illusions d'un décor factice, comparable à cette élévation du 3, rue de l'aqueduc, 10e qui ne sert qu’à masquer une gaine de ventilation du RER sur la rue. Ces agencements révèlent un souci louable en faveur de la préservation de l’esthétique urbaine de la part des entreprises de servitudes. D'autres présentent de vraies œuvres peintes en façade pour enjoliver leurs murs aveugles avec les tableaux d’une ville imaginaire, comme au 33 rue Miollis,15e. L’œil du passant n'y voit en général que du feu. Au 6 rue Auber,9e (ci-dessous), la façade n’est qu’un paravent destiné à masquer neuf ventilateurs géants ancrés sur le toit de la gare.
6 rue Auber,9e |
Ce sont des pastiches historiques, de style néo-quelque-chose ou mélange éclectique de styles d’autrefois. Jean Paulhan, qui dirigea pendant 30 ans la nrf chez Gallimard habitait 5 rue des Arènes de Lutèce,5e dans une maison de style gothique à la mode de Viollet-le-duc, mais construite au début du XXe siècle. Plus célèbre encore est celle de la rue des ursins (1-3), 4e, située dans l’ile de la Cité, qui se porte bien dans son costume médiéval purement imaginaire. Son mécène fut l'architecte Fernand Pouillon , un habitué des farfouilles d’où il rapportait des éléments pour son décor. Une copie de la fameuse tour du port de Saint Landry monte la garde dans ce décor de cinéma. À deux pas, se dresse la vraie fausse maison d’Héloïse et d’Abélard, ou plutôt celle du chanoine Fulbert, enfin on ne sait plus trop.
rue des ursins (1-3), 4e |
Ce sont des œuvres de style, à la gloire de leurs architectes. Celles qui témoignent d’une époque ou d’un artiste et marquent une étape dans le temps : le Castel Béranger art nouveau de Guimard ou l'immeuble érotique de Jules Lavirotte, boulevard Rapp. Idem, la maison sportive d’Henri Sauvage au 26 rue Vavin,14e ou le paquebot style art international réalisé par Mallet-Stevens pour Barillet, square Vergennes. L’art déco « bois exotiques » de la maison Boutet, rue Faidherbe,11e ou celle construite par Michel Roux-Spitz au 44 du quai d'Orsay où vivait Jean Giraudoux. Exotique : la façade giboyeuse peinte à la fresque par Adigheri 134,rue Mouffetard,5e, unique en son genre. Une apologie du style, de tous les styles et de leur créateur, souvent définitivement lié à sa création.
134,rue Mouffetard,5e |
Ce sont aussi toutes sortes de façades cyclopéennes : cariatides de pierre dont celle du 57, rue de Turbigo,3e , colonnes de verre, de fer ou Bow-Windows au 95 rue de Vaugirard,6e, encorbellement, ferronneries adjacentes, jeux chromatiques jaunes, verts, mauves rouges de la rue Crémieux, 12e ou barres dégradées rouges et jaunes isothermes de l’école Novancia dans la rue Armand-Moisant qui enveloppe un hôtel particulier de 1908. D’autres aventures architecturales se font aussi discrètes que possible : Surélévation audacieuse au 4 de la rue Fabert, 7e. Contraste saisissant au 17, rue des boulets,11e. Dans la maison dorée, 1 rue Laffitte,9e, l’architecte Pierre Dufau inventa le façadisme : premier décor bidimensionnel de surface, armistice entre les défenseurs du patrimoine qui protègent l’extérieur et les promoteurs qui se réservent l’intérieur, mais c’est surtout le pire piège pour l’observateur ! Au 182 rue Saint Honoré, 1e, Francis Soler réalisa, pour le ministère de la culture, l’exploit d’unifier deux immeubles avec une calligraphie d’aluminium, le premier date des années 60 et l’autre du style pompier. La résille argentée permet de voir sans être vu, selon le principe des moucharabiehs. Quel dommage qu’il n’y ait plus de concours de façades !
182 rue Saint Honoré, 1e, |
Ce sont des tranches d’immeubles, tordus, anémiques ou brutalement interrompus par une rue, par un passage. Celle qu’habita André Chénier en 1793 à l’angle des rues de Cléry et de Beauregard, 2e : un vertige dû à l’emprise de l’enceinte de Charles V. Celle de Philippe Auguste dessine l’étroitesse de l’immeuble du 7 boulevard Saint-Germain, 7e comme au 146, rue Saint-Honoré, 1e . La découverte des arènes de Lutèce interrompit brutalement le 57, rue Monge, 5e qui, depuis, présente toujours ses créneaux en attente d’une prolongation qui ne viendra jamais. Quant aux propylées de Claude-Nicolas Ledoux, qui sait que celle de la place de la Nation, l’une des quatre survivantes, délivre de l’habitat social depuis 1993, dans un monument historique (9, place des Antilles, 12e) !
angle des rues de Cléry et de Beauregard, 2e |
71-73 rue de la Colonie, 13e |
D.L
Dominique Lesbros parle de son livre sur France Bleu
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