La Belle Époque n'a pas exclusivement célébré l'Art Nouveau et ses belles architectures ornementales, loin s'en faut. C'est l'âge des fameux concours de façades (1898) et de la libération des contraintes haussmanniennes par le décret Bonnier (1902) et nous conservons de l'affirmation des nouvelles formes décoratives, animales, végétales, polychromie, l'illusion d'un monopole. Le livre de Gilles Plum montre qu'il n'en est rien. La période fut d'une grande diversité et la ligne de partage des eaux entre tous les styles reste difficile à trouver. Qu'y a-t-il de commun entre le Castel Béranger de Guimard (1898) et l'immeuble 52 Avenue Bosquet de Charles Garin (1896) ? pas grand-chose. L'auteur nous conduit au cœur de cette énigme...
La normalisation de l'urbanisme par Haussmann laisse penser que la période qui a suivi souscrivait aux mêmes contraintes, dans son propre style, qui lui-même avait remplacé un style plus ancien par une nouvelle mode et de nouvelles influences. C'est l'abondance de découvertes techniques et l'arrivée de nouveaux matériaux qui allait bouleverser cette belle conception de l'unité et permettre des constructions très différentes. Cependant, de l'observation nait l'évidence qu'il existe bien un style 1900 dépassant le classement entre classiques et modernes, entre l'académique et l'avant-garde. Son symbole se trouve peut-être dans cette signature d'architecte qui apparait sur les façades, image d'une liberté absente auparavant et démodée après le premier conflit mondial.
L'Architecte de la Belle Époque dispose d'un choix jusqu'ici inégalé de matériaux expérimentés et tolérés. Aux côtés de la pierre de taille, on trouve de la brique, du bois, du fer, du verre, de la céramique, mais c'est surtout le béton armé, inventé en 1900 par François Hennebique et dont la première réalisation en urbanisme au 1 rue Danton avec l'architecte Arnaud sert de marqueur au changement d'époque. Les expositions universelles ont pesé sur ces innovations, avec un succès considérable pour certaines réalisations comme la galerie des machines, le Grand ou le Petit Palais. L'éclectisme domine le style et l'expression artistique entre dans l'urbanisme. Expressivité dans le matériau adapté, dans l'augmentation de la dimension des constructions et la fin d'une certaine modestie. L'immeuble 1900 chez Charles Plumet ou Jules Lavirotte reste une élévation qui ose et qui crée un style. C'est l'objet d'Art, résultat de l'affirmation de l'individualité de l'artiste.
La personnalité de l'architecte domine le style, fait d'emprunts aux styles historiques et qui ne tombe pas dans le pastiche. Sa place dans la symbolique de l'affirmation du fer comme attribut prométhéen, soulignée par Gilles Plum, est omniprésente et justifiée, mais sa syntaxe prend aussi en compte la tradition classique française et traduit sa fonction comme élément fondamental du décor, dans l'organisation de l'espace comme dans l'ornementation ou le confort. Les immeubles sont des produits commerciaux et des lieux de vie, cela n'est généralement pas oublié évitant ainsi la critique majeure faite par la suite au mouvement moderne. La même année : 1913, s'élèvent l'immeuble de Charles Letrosne au 5 rue Vaneau et celui d'Henri Sauvage au 26 rue Vavin. C'est l'apogée de l'immeuble paysage.
Il reviendra en définitive à Auguste Perret le rôle de fermer la parenthèse ouverte par Charles Garnier. L'élève prometteur de Julien Guadet n'a pas toujours été le chantre du mouvement moderne et de l'architecture en béton armé qu'il deviendra après la guerre, il réalise en 1909 au 119 avenue de Wagram une construction qui combine gracieusement la double filiation classique et gothique. C'est au Théâtre des Champs-Elysées (1913) qu'il ouvre un nouveau chapitre dans l'histoire des embellissements de Paris par un projet qui reçoit les impulsions de Bourdelle, Maurice Denis et André Gide, apôtres d'un retour aux sources classiques, en sculpture et en peinture. Dès son apparition, ce travail est extrêmement contesté et provoque un scandale. Sa conception éloignée de toute sensibilité qui s'affirme dans la monumentalité et la ligne pure, l'absence stricte d'embellissement dégagent une froideur qui passe à côté de l'essentiel et sème le doute sur son usage. C'est pourtant sur cette base classique que se développera la modernité. Une modernité qui revient donc à la tradition classique.
Gilles Plum souligne que notre environnement est largement composé de créations qui ont vu le jour à la Belle Époque. C'est notre présent, celui d'une ville recréée entre 1850 et 1914. La dernière période faste faste pour la construction parisienne prenait en compte à la fois les capacités de l'Art et celles de la technique. Il démontre l'exceptionnel résultat de cette combinaison, sa variété et réfute l'idée reçue d'un duel entre académisme et conception de rupture. L'architecture Belle Époque n'est pas simplement la construction métallique et le décor Art Nouveau auquel on pense a priori et l'auteur montre qu'elle s'apparente paradoxalement à un renouvellement de la tradition classique.
D.L