Camille Saféris était déjà l’auteur d’un intéressant « dictionnaire femmes-français », il publie maintenant, avec la complicité de Jean-Laurent Cassely, un « dictionnaire du parisien de 2013 » . Ce dernier avait fait paraître, de son côté « Paris, mode d’emploi » sur un sujet voisin. Ce nouveau volume consacré aux tics de langage est hilarant, rempli de formules secrètes qui font partie de notre quotidien dans les restaurants, au travail, les talk-shows télé, dans la presse, sur les blogs ou au hasard des discussions. Bref, dans cette ville de tous les jours, pour peu qu’on tende l’oreille. Les auteurs s’amusent avec un humour corrosif à décortiquer le sabir incontournable qui a définitivement évincé le vieil argot populaire dans ce qu’on désigne par : la « gentrification » de la ville. Mélange d’idées reçues, d’attitudes convenues, de tenues bouffonnes, voire grotesques, de formules cuisinées d’engliche, de culture-télé, de scoop-mode, d’Internet et d’art minimal écolo-citoyen. C’est une lecture vraiment savoureuse, de celles qui aiguisent l’esprit, à double-sens, au deuxième degré et qui sera à portée de main de beaucoup de bars à livres, à l’étagère distractions. Pour la suite, mieux vaut renoncer à l’usage des guillemets.
Le livre s’ouvre par la première épreuve sérieuse pour le parisien : se loger. Une aventure garantie qui donne la première occasion de creuser la novlangue citadine et son véritable sens. Les auteurs donnent des traductions, souvent cyniques, mais délicieuses des petites annonces immobilières.
« Studette restauré avec goût, avec douchette. Idéal étudiant. Proche métro. Rare. Prix négociable » Comprenez : Placard de 10 mètres carrés, à prix exorbitant, restauré par moi avec jet d’eau faisant office de salle de bain et à moins de quinze minutes de marche de la station de métro la plus proche.
Dans l’appartement haussmannien, avec la cheminée dont il est interdit de se servir, on peut vivre en colocation jusqu’à quarante ans, cerné de faux-vieux, déniché neuf chez Ikea ou au vide-grenier puis obtenu à l’aide d’outils onéreux vendus au BHV comme au Leroy-Merlin de la rue Rambuteau. L’intérieur est Lifestyle, pour faire New-York, quoi.
A l’égal de la déco shabby-chic, la création culinaire doit imiter l’authentique et le naturel. Pour le(la) flemmard(e), c’est la cantine du coin, le petit caviste, la tradition froment et le tiramisu, sans oublier l’inévitable macaron hors de prix. L’ardoise de chez Pinpin (ou plutôt du réfugié sri-lankais consigné dans sa cuisine) propose la salade « wifi » : poulet, maïs, salade, tomate et vache qui rit pour 18 euros ! A l’inverse, le masterchef arpentera le maraicher bio, le Franprix, voire l’arabe du coin pour mijoter ses plats délicieux façon-mamie, salad-bar rillettes dans les arrondissements du centre ou kebab-mayonnaise autour de la place de Clichy.
« Drunch : Croisement du brunch, du lunch et du drink, donc praticable à toute heure »
En famille, avoir un enfant à Paris c’est vraiment galère, le parisien bonton optera pour la cellule mononucléaire ou recomposée à partir de garde-alternée et de pâtes-alphabet. Les kids adorent les hamburgers-frites surgelés, les mangas café et la ménagerie du jardin des plantes. Au parc, Mattéo et Jeanne trouvent rigolo de donner du pain aux canards, ne savent pas que c’est interdit et adorent les trente minutes de mini-poney à quinze euros. Quelquefois, ils quittent le jardin du Luxembourg pour un parcours-jeu avec quizz au parc des Buttes-Chaumont, trop stylé !
« Bloomer : Short-culotte pour bébé, introuvable en province. Vous n’auriez pas vu le bloomer d’Orlando, Fatima ? »
Quand il travaille, le parisien est consultant (optimiseur de productivité), chef de projets (animateur d’une équipe de stagiaires), développeur (ne parle plus le français), directeur artistique (graphiste Photoshop) ou intermittent du spectacle. Il est aussi coach, profession mystérieuse qui regroupe toutes les précédentes sans avoir besoin de diplôme. Proactif de l’open-space, il commence sa journée dans le métro par un incident technique indépendant de la volonté de la RATP (un clochard ivre sur la voie) puis démarre au café par un brainstorming sur la conduite du changement, dispositif visant à freiner les vagues de suicides de vieux salariés. Il rêve de travailler chez Google (entreprise So hallucinogène) ou de devenir community manager, sorte de GO du web qui dispose d’un compte Twitter. Il check ses mails, les cascade. Sa capacité principale est le relationnel : qualité requise consistant à feindre la convivialité en réunion en racontant les dernières blagues de Cauet ou en montrant l’appli « faites tourner les serviettes » de Patrick Sébastien sur son iPhone.
« La Com : Poulailler, réservoir à blondes d’une entreprise d’ingénieurs »
La barbe de trois jours est le look indispensable dans les arrondissements de l’est et les milieux créatifs ou culturels. Lunettes rectangulaires et chemise Prada complètent la panoplie de l’intellectuel post-moderne qui lui adjoindra le pantacourt l’été et la doudoune, l’hiver venu. La fashionista aura tendance à chiciser ses apparitions par de « petites-marques-sympas », effortless et easy-chic. IT tendance 2013 : Leggings insolites qu’aucune autre fille ne porte en dehors des 600.000 abonnés du blog tendance où l’info a été dénichée. Accessoire fétiche : les Louboutin à 500 Euros.
« Ma fille a arrêté HEC, elle veut être blogueuse mode » Sérieux ?
A quoi bon s’habiller si ce n’est pas pour voir les amis ? Le must-Be poursuit le must-Have, autour d’un néo-cocktail sur une péniche, ou mieux : dans le dernier hotspot blindé à son panoramique. Retrouver les copains dans n’importe quel vernissage d’exposition à visée artistique compte également, mais le plus important reste qu’il y ait de quoi bouffer à l’œil et le moyen de pécho. L’Event est la forme la plus aboutie : ponctué de status Facebook réguliers ou de live tweets méthodiques pour permettre à d’autres de rejoindre le groupe ou mieux : d’éprouver de la jalousie. Lieu : en général un squat d’artistes du 19e ou du 20e arrondissement, pour faire New-York. Activité fétiche : le vieux flipper années 70 (ensuite, ils sont devenus trop électroniques !)
« Taxi : Moyen de transport au diesel conduit par un auditeur de la radio Rire & Chanson »
Mais le panorama ne serait pas complet sans les sujets favoris du parisien que sont les vacances et la culture. Surtout pas de politique (bonne pour les ploucs) ni de foot (sauf si une célébrité fréquente par hasard, en guenille, le même marché bio). Une destination idéale pour les vacances est le pays émergent, en guerre ou celui dans lequel on commence à trouver les même boutiques qu’à Paris ou à New-York : la ville jumelle. Genre Cyclades ou Monténégro, voire Berlin ou Prague. Les destinations bucoliques « font sens » pour alimenter le photoblog, comme dormir dans une yourte au Kazakhstan, « au milieu d’antiques civilisations oubliées ». Pour le petit-week-end, ce sera Deauville (Sentierville), Trouville, l’Ile de Ré, voire Biarritz, le Cap-Ferret ou le Perche mais pas dans cette province aux populations hostiles, peuplée de spectateurs de TF1 (rest of the world) ou dans le trou-du-cul-du-monde : la Creuse.
« Ce que j’aime dans les voyages, c’est les rencontres authentiques. J’ai donné 4 dollars à un népalais pour porter mon sac à dos dans un trekking »
L’autre destination favorite du parisien exigeant est le festival d’Avignon, qui offre le double avantage de profiter de l’exotisme du grand sud, comme d’étancher sa soif culturelle. Programmation « courageuse », œuvres « difficiles », théâtre « dérangeant », comme la Médée en Wolof de Max Rouquette – 2h 50 minimum. Les particules élémentaires du bon-goût-capitale sont France-Inter, Pascale Clark et le 104, annexe « hype » de la technoculture parisienne. Primature nécessaire pour avoir quelques lignes dans Télérama, une date à Cannes dans « un certain regard » et un espace au MK2, le film parisien est de préférence iranien, coréen ou d’Asie centrale et doit respecter la déontologie des cahiers du cinéma qui est exactement à l’opposé du film commercial (colorectal). De son côté, l’écrivain germanopratin mesure sa célébrité aux heures de présence dans les discothèques interlopes fréquentées par de jeunes parisiens essayant eux-mêmes de se faire passer pour des écrivains.
« Le Flore : Célèbre café de la Rive Gauche dans les toilettes duquel on peut facilement croiser de grandes figures de la littérature moderne ou du jury Goncourt souffrant de la prostate – Café à 9 Euros »
Bien vue, la mégateuf du parler municipal ! tellement énorme.
D.L