Si les paysans ou les pauvres dorment dans la même pièce, souvent à plusieurs, l’usage d’une chambre privée fait partie des règles de l’aristocratie, où chacun dispose de son appartement. Dans la bourgeoisie, le lit est conjugal et le mari et l’épouse dorment ensemble. Devant être maintenue à l’écart du froid et de l’humidité, on y trouve des cheminées et des “ostevents”, bien orientés, pour tuer les courants d’air. Au saut du lit se trouve une natte en paille tressée qui deviendra tapis au XVe siècle. Le dormeur dort nu avec le bonnet de nuit indispensable pour éviter le refroidissement du cerveau. Au-dessus, un toit de tissu appelé “ciel” le protège de la poussière du plafond et des “coups de lune”, considérés comme cruels, spécialement sur le visage. Tout autour, un rideau coulissant permet de protéger l’intimité du dormeur. Celui-ci repose sur une ou plusieurs couettes. La nature de la couche traduit le niveau social du dormeur : en paille pour les pauvres, en plumes de canard ou en plumes d’oie pour les riches. “Lit de paille n’est pas lit” disait Rutebeuf. La tête repose sur un oreiller, à quatre pompons, posé sur un traversin. Les draps et les couvertures sont tendus, mais non bordés. Le lit peut-être réchauffé avant le coucher et il est fortement déconseillé de se couvrir les pieds. On dort sur le côté, une fois la digestion achevée et surtout pas sur le ventre. La bonne durée de sommeil est de huit heures et l’excès, comme l’absence de sommeil, est nocif. En cas d’insomnie, rien n’est plus efficace que la boisson : “Le bon vin fait souef dormir”. Tout le monde a peur de mourir la nuit, sans avoir reçu les sacrements et d’aller droit en enfer. Il est donc prudent de prier avant d’aller se coucher afin de réduire le risque des périls de la nuit.
Troisième fonction du lit au moyen-âge : la reproduction. Il est béni par le prêtre le soir des noces et glorifie “la semence, dans la longueur des jours et à travers les âges”. C’est le symbole de la descendance, l’unique justification à l’amour physique. La femme doit être sur le dos pour favoriser l’écoulement et toute autre position comme celle “à la manière des chiens” est proscrite, car évoquant la bestialité, opposable à l’humanité. Si le mari est obèse, la femme a toutefois l’autorisation spéciale d’être “dessus”. Le plaisir, s’il n’est pas ignoré, est connu pour favoriser la fécondation, mais reste censuré dans les enluminures. Les dates et les jours légitimes sont codifiés par l’Église. À cet égard, on prend conscience de l’abîme qui sépare ces usages de ceux de personnages comme Isabeau de Bavière (1435), Agnès Sorel (1450), Christine de Pizan (1430) ou même Jeanne d’Arc (1431). C’est bien la fin du Moyen Âge.
Enfin, le lit est le lieu de réconfort pour le malade ou le mourant. Il y reçoit les médecins, notaires, prêtres, famille et amis, selon la situation. On meurt chez soi et dans son lit, là où tout a commencé, autrefois, et où tout se termine. Fin d’une vie qui ne peut paraître que trop brève et justifie de se préoccuper de l’au-delà. L’aboutissement des choses, comme chacun sait.
Entretien de Claire Baudéan de France-Info avec Danièle Alexandre-Bidon, spécialiste de la vie quotidienne au Moyen-Âge et commissaire de l’exposition (31’42) http://bit.ly/mpOH5p
Série de conférences jusqu’au mois d’octobre :
- 21 septembre : Au lit avec un fantôme, par Marie-Anne Polo de Beaulieu (CNRS)
- 12 octobre : Le lit de mort, par Danièle Alexandre-Bidon.