Quelle visite à Paris ? |
Visite à Paris - Guide Conférencier |
Suite à l’article de l’Express du 25/08/2010 , Une liste des “contre-vérités historiques ” du livre de Lorànt Deutsch est paru en commentaire de cet article.
C’était, bien sûr, inévitable, on ne brasse pas 2000 ans d’Histoire sans faire de vagues. Loin de nier ces allégations, je pense, au contraire, qu’il est important de les diffuser, afin d’emmener le lecteur sur les points où légendes et vérités se confondent et sont soumises à diverses interprétations : C’est ce qui et fait la richesse de cette discipline.
Scientifique ? : “Vous voulez du roman ? Lisez de l’histoire” disait François Guizot, peu suspect de ne pas être historien.
Les raisons de la controverse sont :
- page 32 : En 481, Clovis n'était pas encore chrétien (baptême entre 496 et 500).
- page 52 : le mythe de Saint-Denis est présenté comme une réalité (la descente de la butte Montmartre par un décapité qui tient sa tête dans ses mains)
- pages 55-59 : L'auteur prend fait et cause pour le mythe de l'empire gaulois... Il y a eu des usurpations en Gaule, certes, mais il ne s'agissait aucunement d'un "réveil" gaulois.
- page 81 : Mérovée est présenté comme un authentique chef franc. Le personnage reste légendaire, du moins en partie. Difficile de séparer la légende de la réalité...
- page 128 : Aucun historien ne fait état d'amours coupables entre Dagobert et Saint Eloi...
- page 132-133 : A l'époque, la polygamie n'était pas réprimée fortement. Il a fallu attendre plusieurs siècles, le Xe-XIe siècle notamment. Charlemagne a vécu avec de nombreuses concubines et épouses en même temps...
- page 134 : La charrue à bœufs est visiblement une invention d'Eginhard, premier biographe de Charlemagne. Il s'agissait de dévaloriser les Mérovingiens. C'est de lui qu'est venu le mythe des "rois fainéants".
- page 218 : Philippe Auguste a été sacré en 1179, car il a été associé au trône du vivant de son père, Louis VII, qui est mort l'année suivante. Philippe Auguste n'avait que 15 ans à la mort de son père. S'il a été surnommé Auguste, c'est juste parce qu'il est né en août...
- page 247 : L'Hôtel de Ville de Paris a été agrandi en fait sous Louis-Philippe, incendié lors de la Semaine Sanglante en mai 1871, puis reconstruit quasiment à l'identique entre 1874 et 1882.
- page 250 : L'emploi de l'expression "monarchie absolue" est très anachronique.
- page 257 : La revendication officielle de la Couronne de France a été plus tardive. Ce n'est qu'en octobre 1337 qu'Edouard III ne reconnaît plus Philippe VI comme roi de France, et ce n'est que le 26 janvier 1340 qu'il se proclame officiellement roi d'Angleterre et de France.
- page 261 : Il s'agissait des maréchaux de Normandie et de Champagne. L'auteur parle juste de "maréchaux", donc il y a ambiguïté. Ce n'étaient pas des maréchaux de France.
- page 262 : La naissance du Tiers-Etat avec Etienne Marcel est quelque chose de fort douteux, de très controversé. Certes, les historiens libéraux, au XIXe siècle, ont fait d'Etienne Marcel un champion de la démocratie libérale, de la représentation populaire, car il avait voulu changer le mode de représentation du "commun peuple" aux Etats Généraux. Toutefois, aux Etats Généraux de 1302, on a bel et bien convoqué le clergé, la noblesse et la bourgeoisie des villes. Selon Augustin Thierry dans son Essai sur l'histoire du Tiers Etat (page 33 de l'édition de 1866), "la voix du commun peuple fut recueillie dans ce grand débat au même titre que celle des barons et des dignitaires de l'Eglise." En note, il nous dit qu'on disait indifféremment "le tiers état, le commun état, et le commun". La Chronique de Guillaume de Nangis emploie le mot communiarum.
- page 268 et 282 : Cette rumeur faisant de Jeanne d'Arc la demi-sœur de Charles VII est complètement absurde. Elle apparaît dans le livre L'Affaire Jeanne d'Arc. Visiblement, cette "thèse" a été imaginée en 1802 par un préfet, Pierre Caze. Il vaut mieux lire la biographie écrite par Colette Beaune (chez Perrin, rééditée en poche "Tempus"), qui fait bien le point sur la vie de Jeanne d'Arc.
- page 268 : La liaison entre Louis d'Orléans et Isabeau de Bavière n'est pas prouvée.
- page 282 : L'entrée des troupes de Charles VII dans Paris date de 1436 (avec le connétable de Richemont).
- page 297 : Charles IX n'a probablement pas été l'instigateur de la Saint-Barthélémy. Une des hypothèses qui rallie le plus d'avis (aucun avis n'est certain sur la question) est qu'il a été mis devant le fait accompli et a dû valider le mouvement, afin de ne pas perdre la face... un peu comme l'a fait Henri III lorsque la Ligue fut créée en 1576...
- page 302 : Aucune allusion au siège de Paris, qui a vu une terrible famine en 1590. Rien non plus pour l'entrée de Henri IV à Paris le 22 mars 1594. Pourtant, ce sont des événements importants tant pour l'histoire de Paris que pour l'histoire de France...
- page 326 : Le mythe de la Bastille comme prison de torture ne tient plus. Ce n'était pas le goulag !
- page 361 : "Ah ! c'est la mer !" n'a pas été prononcé en 1944 par le général de Gaulle. Cela a été écrit à la fin du tome 2 des Mémoires de Guerre, paru en 1956.………………………………………………
Cela fait un beau programme pour une troisième édition (après celle illustrée qui sortira en octobre ), non ?.
Mon avis est que, justement, il ne s’agit pas d’un livre d’historien, ou prétendu tel, mais qu’il apporte quelque chose de neuf, raison de son succès, et que son nom sur la couverture n’a rien à y voir, contrairement à ce que dit l’auteur des points cités.
C’est ailleurs que tout se passe : deux choses sont “fondamentales” :
1) Une juste dimension du temps qui accorde une importance équivalente à chaque siècle : c'est l'esprit du Métronome. Chaque siècle est unique et doit être vu "en tant que tel" : c'est rarement le cas en histoire ou sont largement exagérées les périodes postérieures à l'époque moderne au dépend de certaines époques "opaques" qui sont pourtant essentielles. Cette linéarité permet, en outre, de regarder l'histoire globalement et pas à travers telle ou telle période : une année est une année quelle que soit la pioche que l'on fait dans les siècles et il se passe beaucoup de choses en une année.
2) C'est peut-être l'idée la plus importante : l'histoire n'est pas désincarnée, virtuelle ou abstraite : elle est visible et peut être touchée. Un lieu, un évènement ou un personnage n'a pas à être représenté comme une idée abstraite ( et qu’y a-t-il de plus abstrait qu’une date ? ), mais le plus près possible du réel et avec force descriptions. Tout compte : l'année pour l'évènement, le matériau pour l'objet, le lieu pour la rencontre, son visage pour l'individu : c'est la revanche sur l'histoire globale et idéologique du XIXe et XXe : c'est la magie du détail qui rend intelligible ce qui a disparu. Je pense aussi à la poésie d’un Jules Michelet.